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qu’ils puissent battre, à une distance vraiment utile, les ouvrages ennemis. Pourtant, il fallait déblayer le chenal : sans cela, il n’y avait rien de fait. Il fallait arrêter le mal que causaient à nos dragueurs les batteries situées à fleur de côte par le travers du grand champ de mines.

Ce n’était pas une petite affaire, comme bien vous le supposez. Pensez à la magnifique cible que nous offrions à l’ennemi. A droite, à gauche, il y avait des canons et c’étaient de grands et solides forts que ceux que nous allions attaquer... Les rapports officiels ont dit en leur temps à quelle combinaison on s’était arrêté. Moi, je vais vous l’expliquer...

Ici, notre gamin fit une pause, comme pour bien tasser ses souvenirs, les reprendre un à un, pour que chacun pût comprendre et surtout aussi pour qu’il n’y eût point d’erreur.

— Eh bien ! on avait décidé d’envoyer une première ligne de quatre cuirassés anglais qui se tiendrait en travers du détroit à 13 milles de la ligne Khanack-Kidil-Bahr. Ils avaient reçu pour mission de bombarder en tir lent les cinq principaux ouvrages, tout en restant, bien entendu, hors de leur portée... Vous voyez cela d’ici... Ils devaient attendre l’instant que l’on jugerait convenable, c’est-à-dire lorsqu’on aurait eu l’assurance que les forts étaient suffisamment désorganisés, pour permettre à une seconde ligne, comprenant quatre vieux cuirassés, de se porter à 4 000 mètres en avant d’eux. Ces derniers avaient reçu ordre de ne pas entamer le tir de la première ligne, tout en attaquant comme elle les mêmes grands ouvrages et aussi en contrebattant les forts secondaires qui seraient à sa portée... Ce n’était pas très commode comme mission ; mais ce fut rudement chic ! Entre la première et la seconde ligne, on avait envoyé un cuirassé flanqueur le long de chaque rive... Car il faut vous dire que les batteries de campagne ne se faisaient pas faute de nous cracher dessus, et il fallait leur imposer silence... On avait tout prévu, et une relève vers les quatorze heures devait remplacer les quatre cuirassés de la ligne d’avant, ainsi que les deux flancs-gardes.

Eh bien ! ce poste d’avant-garde, aux quatre vieux cuirassés, c’est nous autres, les Français, qui l’avons eu. Et nous n’en étions pas peu fiers. Pensez donc, c’était le poste le plus dangereux... Nous devions manœuvrer avec précaution pour ne pas masquer les vues des quatre cuirassés modernes. Notre division