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— Je m’abusais, ô Roua, tu n’as pas plus de cervelle que l’étourneau.

— Et toi, pas plus d’amabilité que la chouette, ô vieille Malki !

Voyant que les querelleuses menaçaient de la prendre à témoin de leurs griefs réciproques, et ne se souciant pas d’être le doigt pincé entre l’arbre et l’écorce, Fatima salua et, en trois petits bonds, se trouva sur le seuil.

Au moment où elle allait descendre le sentier, elle fut rappelée par la belle-mère de Roua, qui lui remit un vase de la grandeur d’un verre à boire :

— Prends ! Ceci te donnera contenance, Fatima.

La jeune femme reçut cet en-cas. Une Kabyle saurait-elle traverser son village sans avoir ce prétexte à ses déplacemens : une course à la fontaine ?

« Dieu soit remercié ! pensait Alima en retournant à sa maison avec sa petite cruche. Si nous n’avions pas à chercher de l’eau, ces « hommes-là « ne nous laisseraient plus sortir. Les djins emportent les Français qui voudraient faire monter les ruisseaux dans nos maisons ! »


Tandis qu’elle s’acheminait de cette démarche ailée qui n’appartient qu’aux races antiques dont les pieds n’ont pas été déformés par nos grossières chaussures, Fatima s’entendit siffler. Elle en frissonna de terreur. Un homme se permettrait-il cette inconvenance ? Il risquait sa vie. Un frère de Fatima, en l’absence de son mari, ou l’un de ses oncles l’abattrait d’un coup de fusil. Au sifflement succédait l’appel d’une voix féminine, et le profil assyrien de Turkia la Noire dépassa l’embrasure de son logis. Un collier de branches de corail, alternant avec des pièces turques anciennes, descendait en double rang sur la gorge de cette Kabyle, comblée de bracelets et d’anneaux de pieds en argent, si lourds que des forçats se fussent plaints de tramer ces bijoux massifs. Turkia était une fille des Ouadhia et, contre l’usage, Bourrich, son mari, était allé chercher épouse dans cette tribu.

S’étant approchée, Fatima demanda, craintive :

— Et Bourrich ?

— Cet « homme-là » s’en est allé vers Aumale, afin d’y