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mois d’avril. Le 4, à la conférence irlando-américaine de Londres, un ancien fenian, John Devey, presse les Irlando-Américains de lever un fonds de 1 million de dollars pour organiser une révolte en Irlande ; le 10, arrestation à Dublin de deux individus qui transportaient dans une automobile des fusils et des munitions ; le 23, à Currahane Strand, saisie d’un bateau submersible contenant une cargaison d’armes et de munitions. Sauf le petit courant de la surveillance quotidienne en temps calme, les autorités paraissent n’avoir opposé à tous ces préparatifs que leur flegme : en cela, il y a eu faillite partielle, défaillance de la fonction gouvernementale. Qui ne sait le prix auquel de tels abandons se paient ? Meurtres, incendies, destructions, répressions, fusillades, déportations ; au total, directement ou indirectement, des milliers de victimes. Après une semaine de lutte, l’insurrection est partout domptée, elle expire ; laissons-en aux journaux le récit circonstancié : ce qui nous intéresse, c’est beaucoup moins ce qu’elle a fait, et comment elle l’a fait, que pourquoi elle l’a fait ; autrement dit, c’est ce qu’elle a voulu être, c’est ce qu’on aurait voulu qu’elle fût. Et l’important, par-dessus l’intéressant, est d’identifier avec certitude, de personnifier ce vague, fugace et impersonnel « On. »

Deux élémens se sont associés visiblement pour bouleverser l’île, s’ils l’avaient pu, et le deuxième est tout moderne : celui qui a établi, comme d’instinct, son quartier général à Liberty-Hall, à la Bourse du travail. C’est ce qu’on pourrait nommer l’élément, non pas proprement socialiste, mais syndicaliste, recruté parmi les ouvriers, en particulier des transports, et obéissant à James Connolly, naguère lieutenant de Jim Larkin, comme lui éminent « gréviculteur. » Mais le premier élément est connu, pour ainsi dire, de toute éternité, dans la suite séculaire et ininterrompue des agitations de l’Irlande. Il se qualifie maintenant de Sin-Fein, qualifie ses adeptes de Sinn-Feiners, ce qui assure-t-on, veut dire : « Nous-mêmes, » en gaélique. Ce serait donc le parti de l’autonomie, de l’indépendance, de la souveraineté irlandaise. — Fraction insignifiante de la nation, notait M. Louis Paul-Dubois dès 1907, et qui n’en est ni la plus éclairée, ni la plus recommandable ; exaltés, déclassés, rêveurs, gamins, mauvais sujets. — Mais que les Sinn-Feiners soient ce qu’ils veulent ou ce qu’ils peuvent être, M. Jules de Lasteyrie, en 1865 et 1867, M. John Lemoinne, en 1848, ne s’exprimaient pas différemment, dans la Revue, sur le compte des « Fenians » ou de « la Jeune Irlande. » Les mots mêmes, les noms mêmes décèlent et étalent la parenté. Quel que soit le sens du gaélique Sin-Fein, les Sinn-Feiners rappellent les