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d’une voix blanche. L’enfant des Orientales était peut-être là, mais en lui donnant de la poudre, on avait oublié les balles. À peine les pièces de Rupel eurent-elles tiré leurs vingt-quatre coups pour rien que des officiers se détachèrent de la bande en parlementaires. Le commandant grec n’hésita pas, sur l’on ne sait quel signe, à les reconnaître pour Allemands, et tout de suite il s’inclina. Il fit mieux que de s’incliner : par déférence, il leur céda la place. On raconte que, comme il se retirait avec sa garnison, il rencontra, à une certaine distance, un détachement anglo-français : « Quel dommage, dit-il, que vous n’ayez pas marché plus vite ! J’avais ordre de remettre le fort au premier qui se présenterait. » Et c’est, apparemment, pour la Grèce, une manière de garder la neutralité.

Mais il était temps que cette comédie cessât. Cette comédie ou cette farce, qui a des côtés tristes. Le général Sarrail a proclamé l’état de siège dans le territoire de Salonique. Opiniâtrement neutre et ambigu, le gouvernement grec s’est empressé de protester, d’une part contre l’occupation par les Bulgaro-Allemands des forts de la Strouma, à laquelle il a consenti ; de l’autre, contre l’établissement par les Anglo-Français de la loi martiale, que sa dupbicité ou sa complicité avait rendu indispensable. Nous ignorons, mais nous devinons comment les Allemands ont accueilli sa protestation. Quant à nous, nous passerons outre à la plainte, puisque les Germano-Bulgares ont impunément passé outre aux coups de semonce. Où voulaient-ils aller ? On a cru que leur objectif prochain était Sérès, et leur objectif principal, Cavalla. Ils s’en sont défendus. Malgré tout, malgré leurs sermens, on n’avait pas tort de le croire, et c’est maintenant qu’on aurait tort de les en croire. Un de leurs hommes politiques les plus en vue, dont on ne peut pas dire qu’il soit de ceux qui aient, dans les derniers temps, affiché le plus de zèle pour la cause allemande, ne se gênait pas, l’autre hiver, pour le déclarer : « Je suis, comme mon ami, M. Rizofï, Macédonien de Monastir. Mais nous ne nous battrions, ni lui ni moi, pour la possession de notre ville natale. Au contraire, lui et moi, nous nous battrons, à fond et à mort, pour Cavalla. » Cavalla, c’est la troisième mer, la mer étincelante, c’est l’Egée. Si les Grecs n’y tiennent pas plus qu’au fortin de Rupel, c’est leur affaire. Mais c’est notre affaire, à nous que Cavalla, en elle-même, laisse indifférens, de ne pas souffrir que la Grèce ait pour ceux que nous contenons et refoulons à son profit des attentions ou des faiblesses qui puissent nous nuire.

Nous disons, par abréviation, la Grèce, mais il faut distinguer. Il y