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sentiment et les vieux instincts de famille avec les intérêts immédiats des deux nations, de façon que le rapprochement s’opérât de part et d’autre en pleine conscience et comme à la lumière d’une évidence irrésistible. A des degrés divers, chacun à sa place et dans la mesure de son influence, ces Français et ces Italiens ont bien servi leur pays. Au début d’une étude sur l’état actuel de l’opinion en Italie, il serait injuste de ne pas proclamer bien haut la part qu’ils ont prise à son heureuse direction. D’ailleurs, ces compatriotes et ces amis de la France sont forcément les premiers interlocuteurs qu’un Français, qui passe les Alpes, rencontre sur son chemin. C’est ce que j’appellerai les bonnes figures du seuil. Il convient de les saluer, en le franchissant, et de leur dire notre reconnaissance.

D’abord, notre ambassadeur à Rome, M. Camille Barrère, qui, parmi les magnificences du Palais Farnèse et en face d’une très ancienne et très pointilleuse aristocratie, sait représenter, avec la plus fine et la plus élégante distinction, un grand État démocratique. L’œuvre de réconciliation, poursuivie par lui avec prudence et ténacité pendant de longues années, échappe à la compétence d’un simple passant. On ne peut que constater le résultat obtenu et s’en réjouir, en s’inclinant devant celui qui a le plus contribué à dissiper les malentendus entre les deux pays et à faciliter leur nouvel accord. Parmi ceux qui l’y ont aidé, on m’excusera si, au mépris de toutes les distances protocolaires, ma pensée va tout de suite au-devant de mon vieux camarade, Jean Carrère, à qui son ascendant personnel a pu donner, à Rome, une situation, que son titre de correspondant d’un grand journal parisien et même son talent d’écrivain n’auraient pas suffi à lui conquérir. Carrère est un Italien d’adoption. Originaire de notre Midi, il a ces manières ondoyantes, ces souplesses et ces caresses de parole qui le font reconnaître immédiatement comme un frère par nos voisins. Avec cela, des momens d’éloquence et de lyrisme, un don d’entraînement verbal qui agit, au premier contact, sur les foules de là-bas. Je ne sais s’il a reçu officiellement le droit de cité, mais il est très certainement persona grata auprès du Peuple romain. Une promenade avec Carrère dans les rues de Rome est une véritable marche triomphale. Je n’exagère rien. Au lendemain de l’expédition de Libye, on lui a décerné au moins