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D’ANNUNZIO ET LA MUSIQUE

C’est toujours avec plaisir, et même avec une secrète fierté, qu’un musicien reconnaît, chez tel ou tel grand écrivain de son temps, l’intelligence et l’amour de la musique. Chez un Maurice Barrès, le sens musical se cache et semble s’ignorer. Dans la Colline inspirée, nous avons pourtant essayé naguère d’en surprendre les traces. Nous en voudrions aujourd’hui relever les signes, plus apparens et plus nombreux, à travers l’œuvre de Gabrîele d’Annunzio.

Il pourrait dire, l’auteur des Ode navali, de l’lsotteo et de la Chimera, des Vergini delle Rocce, du Trionfo della Morte et d’Il fuoco, il pourrait dire, en ne changeant qu’un mot à certaine profession de foi connue : « Je suis un homme pour qui le monde sonore existe. » Oui, le monde des sons, ou des bruits, avant même celui de la musique véritable, est déjà pour d’Annunzio non seulement une réalité, mais un enchantement. Autant que du monde des formes et des couleurs, il en a fait son royaume. Il l’anime et le domine. Il s’y plonge, il en jouit, et, comme de toute chose qu’il aime, avec une ardeur, une volupté qui peut aller jusqu’à la frénésie. Proche ou lointain, le ramage des oiseaux, le mugissement d’un bœuf et le bêtement d’un agneau, puis, dans le brusque silence, la plainte seule d’un enfant, il ne faut rien de plus pour émouvoir, pour troubler encore davantage le héros déjà troublé du Triomphe de la Mort.

Il rentre un jour, le sombre Giorgio Aurispa, dans une chambre de musique, depuis longtemps fermée, asile et sanctuaire autrefois de ce Demetrio Aurispa, musicien étrange, désolé comme lui-même, et qu’il aimait. Là, pas un souvenir qui