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chandelles, Mmes d’Hervart, de Virville et de Gouvernet, qui sont des « muses, » qui sont « les Grâces, » l’avaient prié de les rejoindre au château de Bois-le-Vicomte. Il leur répond : « De demeurer tranquille à Bois-le-Vicomte pendant qu’on répétera à Paris mon opéra, c’est ce qu’il ne faut espérer d’aucun auteur, quelque sage qu’il puisse être. » Et il ne manqua pas de suivre les répétitions d’Astrée ; et, quand l’opéra fut tombé, si bien qu’on plaignit Céladon « qui, sortant des eaux du Lignon, s’était noyé dans la Fontaine, » il eut tout le chagrin d’un autre en pareil cas. On raconte aussi qu’à la représentation de sa pièce, La Fontaine, qui s’ennuyait, demanda de qui elle était ; de lui : « Elle n’en vaut pas mieux ! » Cette anecdote, qui n’est pas vraie, de La Fontaine qui oublie que l’Astrée est son ouvrage, vaut l’anecdote de La Fontaine qui, voyant son fils, demande quel est ce jeune homme et dit : « Je crois l’avoir vu quelque part… » Ce mot fâche Lamartine et ravit d’aise d’autres personnes : ce mot ridicule, absurde, et qui n’est pas de La Fontaine. La légende veut aussi que La Fontaine fût un garçon très paresseux, — mais son œuvre n’est pas si courte ; — paresseux et qui dort sans cesse, et qui se réveille avec ennui, se réveille à demi, se rendort et, dans l’intervalle de ses deux sommes, n’a pas de conversation. La Bruyère écrit : « Un homme paraît grossier, lourd, stupide ; il ne sait pas parler ni raconter ce qu’il vient de voir… » Cet homme se met à écrire : et c’est La Fontaine. La Bruyère a peut-être connu La Fontaine ; sans doute l’a-t-il entrevu : il ne l’a pas trouvé brillant. Et Louis Racine : « Autant il était aimable par la douceur du caractère, autant il l’était peu par les agrémens de la société. Il n’y mettait jamais rien du sien ; et mes sœurs qui, dans leur jeunesse, l’ont souvent vu à table chez mon père, n’ont conservé de lui d’autre idée que celle d’un homme fort malpropre et fort ennuyeux. Il ne parlait point, ou voulait toujours parler de Platon. » Voilà deux témoignages. Mais il résulte de ces deux témoignages que, ni dans la maison de Condé, chez « les grands, » ni auprès d’une famille un peu austère, La Fontaine n’était bien à son aise et fort content : il s’ennuyait. L’auteur du Portrait de M. de Lafontaine, dans les Œuvres posthumes, avoue qu’il ne soignait beaucoup ni sa toilette, ni sa mine ; puis : « Dès que la conversation commençait à l’intéresser et qu’il prenait parti dans la dispute, ce n’était plus cet homme rêveur : c’était un homme qui parlait beaucoup et bien. Il était encore très aimable parmi les plaisirs de la table ; il les augmentait ordinairement par son enjouement et par ses bons mots ; et il a toujours passé, avec raison, pour un très charmant convive. » Eh ! il fallait que la causerie