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compte de tout le bien que la Banque commerciale nous a fait, en s’établissant en Italie, avec sa direction allemande. Ce fut même parce que cette direction était allemande qu’elle fit un grand bien. Sans cela, la Banque commerciale aurait été une banque comme toutes les autres, — une banque de type démodé… Mais cette direction allemande portait la tare de son origine : elle était allemande et, dans le secret de son cœur, elle travaillait pour des fins allemandes. Elle n’était un agent de l’évolution italienne que dans la mesure où elle était un agent de l’expansion germanique. Ainsi procèdent toujours les peuples conquérans, qui communiquent leurs progrès à autrui, non par altruisme, mais par égoïsme. Il ne s’agit pas de les condamner, ou de les exalter de ce chef, mais de les payer avec leur propre monnaie : profiter d’eux, éventer leur jeu au moment opportun, et, à la première occasion, les mettre à la porte. »

Cette « mise à la porte » est devenue, aujourd’hui, le mot d’ordre de quiconque, en Italie, a le souci de l’avenir national. On s’est aperçu à temps que le pays allait être pris dans le filet germanique. Néanmoins, il est clair qu’on ne peut pas rompre du jour au lendemain toutes les mailles d’un réseau si longuement et si ingénieusement tissé. Et c’est ce qui explique que, l’année dernière, à pareille époque, la déclaration de guerre à l’Autriche n’ait été en somme, — et contrairement à ce que l’on croit chez nous, — que l’œuvre d’une minorité, d’une élite recrutée dans tous les partis. Hallucinés par notre imagerie révolutionnaire, nous nous représentons toujours des foules hurlantes, drapeau rouge en tête, allant cerner dans leurs palais les rois ou les gouvernans, et les sommant, le revolver au poing, de ratifier le bon plaisir du peuple souverain. En réalité, dit Guglielmo Ferrero, « les masses, sauf quelques exceptions, sont restées étrangères à l’agitation interventionniste. » C’est l’élite qui, à Rome, à Milan, à Gênes, a fini par les émouvoir et par provoquer, çà et là, d’imposantes manifestations populaires.

Toutefois, il est hors de doute que, dans les couches profondes de la nation, le sentiment général était on ne peut plus favorable à la cause des Alliés. Paysans et ouvriers, surtout ceux qui avaient travaillé en France, tous repoussaient avec horreur l’idée de combattre notre pays. C’est pourquoi la neutralité, proclamée par l’Italie, dès les premières hostilités, fut un