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armes n’est pas faite de hasards, la nôtre prouvait la durée de notre sens guerrier. La vertu militaire ne se maintient dans une race qu’à la faveur d’autres vertus : celles qui semblaient les plus épuisées en nous renaissaient intactes, et d’autres qui n’avaient jamais été les nôtres donnaient à notre vaillance un air nouveau. Notre courage d’autrefois avait l’éclat et les éclairs de l’épée, le goût d’éblouir, l’impatience de vaincre, et, dans la coquetterie des prouesses, ce sourire que l’Espagne n’aimait pas. Notre nouveau courage se révélait grave, silencieux, patient : au lieu de provoquer le danger il l’attendait de pied ferme, au lieu de chercher un plaisir il acceptait le devoir. La veille, sur nos propres lèvres, avait été recueilli l’égoïste aveu que le premier droit de chacun est de faire et de conserver sa vie, que l’intérêt général des hommes est leur intérêt particulier, que cet intérêt les fait perpétuellement adversaires et que se sacrifier aux autres est l’héroïsme de la niaiserie : et soudain le danger de la France détruisait dans les âmes toute autre sollicitude que la cause nationale, fondait toutes les discordes dans l’union sacrée, et dans les aridités des égoïsmes faisait jaillir les sources pures du sacrifice. Non seulement les socialistes qui légitimaient hier la désertion, se groupaient autour du drapeau ; mais les anciens déserteurs rentraient pour combattre ; mais les vieillards s’ingéniaient à servir de quelque manière la cause commune ; mais les enfans connaissaient la première douleur d’être jeunes, trop jeunes pour s’enrôler ; mais les femmes, gardiennes des demeures et cultivatrices des terres abandonnées par les soldats, vivaient près d’eux par toutes les présences de la générosité, défendaient les défenseurs du pays contre les privations des tranchées, contre le froid de l’hiver, contre le froid de l’oubli, soignaient les blessés, protégeaient les existences précieuses à la France ; mais les mères savaient sacrifier les plus chères de ces existences et par le don de leurs fils se montrer plus héroïques encore que les hommes. Enfin tant de menaces, tant de douleurs, tant de sacrifices qui remplissaient la vie avaient contraint ce peuple à chercher hors d’elle l’espérance. Le voisinage de la mort, également cruelle à ceux qui sentaient toujours imminent le malheur de périr ou celui de survivre, leur rendait nécessaire une autre vie où les immolés volontaires obtiennent la justice d’une récompense, où les séparés se retrouvent.