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retrouverons un jour réunis, je l’espère, auprès de Celui qui guide nos existences et qui m’a donné auprès de toi et par toi un tel bonheur. Pauvre chérie, je n’ai même pas eu le temps de longuement penser à notre amour, si grand cependant et si fort ! Au revoir, au grand revoir, le vrai. Sois forte. — Ton Jean.


Nous aurons à chercher plus loin en quoi le soldat professeur ou instituteur peut différer d’un autre soldat, tout en ressemblant à tous les soldats de France, ce que le métier ancien a laissé en lui de préoccupations, d’habitudes, dont le métier nouveau profite d’ailleurs. Mais ces jeunes gens, dont nous parlons maintenant, n’ont pas le pli professionnel. Ils ont seulement une culture à la fois plus étendue et plus raffinée, ils ont les exigences de conscience qui en résultent. Le devoir ne se présente pas à eux avec des limitations ; ils vont spontanément au-delà. Ils ont la jeunesse, comme tant d’autres qui en ont fait le même usage, l’entrain, l’ « allant, » la gaieté, fleur du sacrifice ; ils ont aussi le sentiment vif de la responsabilité ; ils ont un autre sentiment non moins vif, celui de la fraternité. Je ne devine pas, je n’invente pas, je lis ces traits divers dans les citations dont ils sont l’objet, ou dans les notices qui leur ont déjà été consacrées. Dès la mobilisation, ils se découvrent eux-mêmes : « Quelle joie ! quel calme partout !… L’Ecole se distingue par son entrain… Jamais je n’aurais cru que je puisse attendre la guerre avec autant de tranquillité… Avec l’état d’esprit qui règne ici (cette lettre est écrite de Toul), on ne peut qu’être vainqueurs… C’est un des plus beaux momens de ma vie. » Celui qui pensait ainsi en août 1914 avait trompé le conseil de révision sur l’état de sa santé, afin d’être soldat. Un autre que l’on veut retenir dans un laboratoire, qui est cependant un laboratoire d’inventions de guerre, s’évade de ces occupations de l’arrière qui lui répugnent. Aux blessés il faut l’ordre formel de leurs chefs pour qu’ils se retirent du combat où ils croient toujours avoir encore quelque chose à faire. De leurs corps douloureux, de leurs bouches convulsées, des exhortations au courage sortent encore. A moitié guéris d’une blessure, ils ont hâte de retourner au feu. L’un d’eux a ainsi été blessé six fois. Comme leurs traditionnelles amitiés d’Ecole se resserrent dans le danger commun ! Mais pour tous leurs soldats, car eux sont de jeunes officiers, ce sont des frères que leur âge ne permet même pas d’appeler des frères aînés.