Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/339

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’occupent presque totalement. Nous en voyons une affirmation catégorique dans le manifeste des six grandes associations industrielles et agricoles d’Allemagne qui a paru en septembre 1915. Là se trouve ce passage qu’on ne saurait trop méditer : « Si la production de la minette (minerai de fer) lorraine était troublée, la guerre serait quasiment perdue. » Et ils l’expliquent en y ajoutant : « Il est certain que, si la production de fer brut et d’acier n’avait pas été doublée depuis le mois d’août 1914, la continuation de la guerre eût été impossible. » Je ne m’attache pas à ce dernier chiffre ; car, même en statistique, on ne peut se fier à une parole allemande ; mais le l’ait en lui-même est indéniable et du plus haut intérêt.

C’est là le côté actuel du problème, auquel j’ai fait allusion au début de cet article. L’impression s’accentue encore quand on envisage l’avenir, en considérant les réserves de minerais. En 1910, le congrès géologique international de Stockholm a procédé à une vaste enquête pour évaluer les ressources en fer mondiales, avec le concours et sous la responsabilité de tous les pays exploitans, afin d’apprécier sur quoi pourrait compter l’humanité future. On est arrivé alors à des chiffres intéressans comme première approximation. D’après ces chiffres, la Lorraine allemande renfermerait 1 830 millions de tonnes, auxquelles les ingénieurs allemands chargés du rapport annexaient tranquillement 270 millions de tonnes appartenant au Luxembourg, comme faisant partie du Zollverein. En regard de ces 2 100 millions de tonnes, tout le reste de l’Allemagne ne représentait que 700 millions de tonnes. La Lorraine française, de son côté, était estimée à 3 000 millions de tonnes.

Mais ces chiffres ne sont pas rigoureusement comparables entre eux. Il y a bien des manières de procéder à de semblables estimations, dont les nombres, riches en zéros, sont ensuite trop facilement acceptés et reproduits comme parole d’évangile. On peut, par exemple, compter ou négliger les minerais descendant au-dessous d’une certaine teneur en fer, trop chargés de silice, ou s’enfonçant à une trop grande profondeur : minerais actuellement inexploitables avec profit, mais pouvant se prêter à une exploitation fructueuse dans quelques années, par un accroissement du prix de vente ou par une réduction du prix de revient. Dans cette enquête d’apparence toute scientifique, les Allemands se sont montrés très curieusement