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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/419

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Brancardiers et conducteurs, notamment, qui sont en principe gens âgés et de caractère paisible, personnifient alors l’abnégation. Par leurs actes ils s’égalent aux plus vaillans, et les troupes d’attaque ont dû maintes fois leurs succès à ces modestes collaborateurs.

D’avance, en effet, le soldat qui va se lancer dans la mêlée accepte d’y périr ou d’y recevoir de graves blessures ; mais il ne lui est pas indifférent de savoir qu’il sera secouru. Les cadavres étendus, les blessés qui agonisent pendant des heures ou des jours sur le terrain de la lutte ne sont pas un spectacle réconfortant. C’est alors que les médecins de troupe et leurs auxiliaires interviennent et qu’ils se révèlent dignes d’admiration et de respect. J’en ai vu que le sentiment de l’honneur professionnel poussait aux pires témérités. Ils allaient en rampant chercher les blessés qui gisaient devant les réseaux ennemis ; ils ramassaient même les morts pour leur donner une sépulture décente. L’acharnement de la bataille est devenu tel qu’ils peuvent rarement opérer au grand jour, malgré leurs insignes et leurs allures de non-combattans. La nuit même ne leur accorde qu’une faible protection : dénoncés par les fusées éclairantes que lance à jets continus l’adversaire aux aguets, leur funèbre besogne les fait traiter comme des patrouilles hostiles. En arrière des lignes, leurs allées et venues sont considérées comme des mouvemens suspects et provoquent des pluies de projectiles variés. Les victimes sont nombreuses, les postes de secours sont éloignés, la tâche des sauveteurs est pénible et longue ; il faut porter les brancards avec douceur, s’arrêter souvent pour attendre du renfort ou calmer les souffrances. Plusieurs journées, plusieurs nuits s’écouleront avant que les infirmiers, les brancardiers aient mis tous les blessés à l’abri. Les yeux lourds de sommeil, les muscles endoloris, ils circuleront sans repos, et nul ne songe alors à leur reprocher la quiétude relative où ils ont vécu pendant les semaines ou les mois qui ont précédé la bataille. Parfois un obus massacre les porteurs et respecte leur pantelant fardeau ; souvent une balle couche près d’un blessé celui qui s’apprêtait à le secourir ; et les pertes du service sanitaire égalent celles des troupes les plus éprouvées. Mais quel stimulant à l’esprit offensif d’un régiment donne la foi dans le zèle et le courage des « toubibs » et de leur personnel ! De savoir qu’on sera, quoi qu’il arrive,