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un nouveau voyage : les prisonniers anglais, qui étaient maintenant au nombre d’une quarantaine, furent transférés dans un autre camp, que M. Green appelle Ghesun, — ce qui, peut-être, signifie Giessen. Là, dans la « salle de garde » du camp, se produisit un incident assez banal par soi-même, mais qui va nous Livrer excellemment, si je puis dire, toute la « philosophie » de l’auteur de la brochure. Un soldat prussien s’étant avisé de faire entendre aux prisonniers que, « bientôt, l’Angleterre, son roi, et son fameux Kitchener ne manqueraient pas de recevoir leur compte, » l’un des camarades de M. Arthur Green « commit l’imprudence » d’éclater de rire ; sur quoi, tous les Allemands qui étaient dans la salle se ruèrent sur lui, l’accablèrent de coups de pied, lui meurtrirent le visage de toute la force de leurs poings. « Oh ! des gaillards terribles ! ajoute le témoin de la scène. Et bien sûr que j’ai plaint le pauvre garçon : mais bah ! cela ne lui a point fait trop de mal, et ce mal qu’il a eu n’a pas duré trop longtemps. »

Vient ensuite le récit du premier bain qu’ont pu prendre les prisonniers anglais, depuis leur départ de Cambrai. Et comment ne pas nous rappeler, à ce propos, que c’est précisément la peinture d’une baignade des forçats sibériens qui, dans les Souvenirs de la Maison des Morts, faisait songer Tourguenef à une « vision infernale ? »


Il s’agissait d’aller à un kilomètre environ de notre camp. Deux autres soldats anglais devaient venir avec moi, qui étais en train de m’entrainer à me servir de béquilles. Quatre gardes étaient chargés de nous escorter. Je me sentais encore si faible qu’au bout de quarante mètres il me fallait m’arrêter. Aussi les gardes trouvaient-ils que je n’allais pas assez vite, de sorte qu’ils ne cessaient pas de me crier : Schwein scurry ![1] mots allemands qui voulaient dire : « Cochon, hâte-toi ! » Ah ! je leur en aurais donné, du « cochon, » si seulement j’avais pu le faire ! Combien j’aurais aimé leur mettre la tête sous ma botte ! Enfin j’eus mon bain, trop heureux de cette aubaine : mais les brutes continuaient à me crier leur Scurry ! et puis, quand je me fus déshabillé, voilà qu’ils aperçurent mon tatouage ! Et comme ils reconnaissaient les armes de l’Angleterre, c’est là que j’en ai entendu, des Englisch Schwein, et d’autres Englisch de toutes les espèces, en même temps que l’un des gardes m’assénait un coup de poing sur la bouche. Dès la seconde suivante, mon sang ne fit qu’un tour : mais j’ai plaisir à ajouter que je me suis suffisamment ressaisi pour prendre la chose en plaisanterie. Je réfléchissais simplement en moi-même, et me disais que tout cela était l’effet naturel de leur célèbre a culture » allemande. Puis, lorsque nous eûmes à revenir au camp, voilà qu’il y avait au moins une centaine de badauds, occupés à nous attendre ; et là encore je

  1. Impossible de deviner à quel véritable « mot allemand » correspond ce Scurry ! — répété à chaque page par M. Arthur Green.