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amenés là « tout droit de la tranchée. » Les gardiens les ont fait sortir du wagon « en les frappant de toutes leurs forces avec des bâtons, des ceintures, des sabres, ou n’importe quoi qu’ils avaient sous la main. » Puis ces mêmes gardiens, probablement ivres, « et qui avaient l’allure féroce de chiens enragés, » ont fouillé les pauvres diables, leur ont enlevé leur tabac et les quelques sous qui leur restaient, et puis leur ont déclaré, avec leur gros rire, que, par exception, il leur serait permis de fumer ! Sous le moindre prétexte, le « cochon d’Anglais » était condamné à la bastonnade, ou encore à la privation de toute nourriture. « L’un de nous est ainsi resté trois jours sans un morceau de pain. D’autres étaient enfermés, pour la journée entière, dans une cave humide ; et pas de soupe pour eux pendant ce jour-là ! Mais nous avions coutume de mettre de côté, à leur intention, un peu de notre soupe, que nous leur donnions quand ils revenaient. Cela nous était dur, je vous prie de le croire : mais quoi ! il fallait bien s’entr’aider ! »

Le 27 décembre, M. Arthur Green a été pris de fièvre. « Ma température était si haute que j’ai dû me faire porter à l’hôpital du camp, où l’on m’a jeté dans un coin, sur un vieux matelas pourri. L’hôpital était d’une saleté dégoûtante, avec des millions de poux, que l’on voyait grimper tout le long des murs. Le 30, l’on a déposé près de moi un Russe, un vrai paquet d’os. Sa couverture semblait garnie d’une couche de gelée : mais je vis bientôt que c’était un monceau de poux. Personne n’osait approcher du malheureux, qui d’ailleurs n’a point tardé à mourir, probablement dévoré par ces vilaines bêtes. »

La fièvre dont souffrait notre soldat anglais devait être, sans doute, l’indice d’une légère atteinte de typhus. Car le fait est que, depuis lors, cette maladie a commencé à envahir le camp ; et le récit de M. Green ne va plus être désormais qu’un navrant nécrologe.


Un copain de la Brigade des Fusiliers fut le premier d’entre nous à devoir se coucher. Il mourut le lendemain. Il s’appelait Johnnie Date. Douze de nos hommes sont sortis du camp pour l’enterrer ; ils ont été hués par les gens du pays pendant qu’ils portaient le cercueil. Quelques jours après, ce fut le tour de Ristol, qui ne mourut qu’au bout d’un mois. Puis, la semaine suivante, le caporal Thatcher nous quitta pour l’hôpital. Il avait à la fois le typhus et la fièvre scarlatine… Depuis des mois, pas un de nous ne s’était rasé, ni n’avait vu un morceau de savon. Au commencement de mars, plus de cinquante hommes de ma chambrée étaient partis pour l’hôpital. En février, ce fut le sergent Phillips qui s’y rendit, dans un état affreux. Il mourut trois jours après, et puis ce fut le soldat Green, du régiment de Bedford. Celui-là réussit à s’en tirer. Deux jours après, les