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Comme on insistait sur ce mot : une vieille nation ! C’est vrai, la France existait quand il n’y avait pas encore un sentiment allemand, un sentiment italien, anglais ; c’est vrai, nous sommes la nation qui, la première de toute l’Europe, a eu l’idée qu’elle formait une patrie ; mais on ne s’explique pas que ces grands titres aient pu nous discréditer auprès des nations plus récentes.

Parmi ceux qui parlaient ainsi, beaucoup nous regardaient sans haine, parfois même avec sympathie.

La France, pensaient-ils, a accumulé un immense trésor de vertus, de hauts faits, de services rendus, de gloires incomparables ; mais, aujourd’hui, elle est au milieu de tout cela comme un vieillard au soir de la plus belle vie, ou mieux encore comme certains aristocrates frivoles qui, d’une illustre ascendance, n’ont gardé que leurs titres de noblesse, de charmantes manières, de superbes portraits, des tapisseries royales, des reliures écussonnées, un luxe grandiose et frivole.

C’est ainsi, nous le savons bien ; on nous croyait frivoles, usés, trop riches, trop heureux, et faisant du plaisir le seul mobile de notre activité ; les Français livraient à l’instinct et à la passion la conduite de leur vie ; leur fin suprême était le bonheur, et l’on venait à Paris pour participer à ce bonheur…

Injustes étrangers, quand le plaisir facile et cosmopolite de Paris vous enivrait, comment auriez-vous connu ce qui reposait au foyer français, qui a pour vertu de se tenir isolé de la rue passante, et ce qui fermentait dans des cœurs qui attendent toujours un cri de croisade et comme l’appel d’un monde surnaturel pour produire et pour connaître eux-mêmes leur héroïsme ?


I

Mois d’août 1914 ! L’appel aux armes retentit. Les cloches, dans tous les villages, s’ébranlent sur la vieille église dont le fondement repose au milieu des morts. Elles sont redevenues soudain les voix de la terre de France. Elles convoquent les hommes, elles plaignent les femmes ; leur clameur est si forte qu’il semble qu’elle pourrait briser la pierre des tombeaux, et tout de suite elle fait sortir du cœur français tout ce qu’il renferme.