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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/492

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des devoirs de protection envers sa famille. Comment aurait-il la magnifique impétuosité du Saint-Cyrien qui dit : « Jeune officier pendant la guerre, c’est vraiment la carrière où l’on recueille de suite les fruits de son honneur, de son énergie, de son dévouement[1]. » Le père de famille a derrière lui déjà les fruits de sa vie ; il les abandonne, et, à défaut de cette beauté d’allégresse, ce qu’il nous fait voir, c’est la beauté d’un sacrifice perpétuellement médité. Il existe chez le jeune homme le sentiment de son sacrifice, mais il écarte en hâte cette inquiétude, ne se l’avoue pas, et même, seul à seul, la repousse avec colère. Au contraire, le soldat plus âgé l’accueille et s’en fait un mérite, soit auprès de Dieu, soit auprès de la Patrie.

Gemens spero, avait pris pour devise, dans les boues de sa tranchée d’Artois, le soldat François Laurentie, père de six enfans. Il gémissait, réconforté par l’espérance que ses enfans n’auraient pas à gémir. Toutes les lettres testamentaires qui sortent des tranchées apportent la même note. Le territorial se bat pour que ses enfans n’aient pas à se battre. Il fait la guerre pour détruire la guerre.

Il se bat aussi pour sa terre. Quelle fut l’émotion des hommes du 20e corps quand ils répandirent leur sang devant Nancy, devant Verdun ; des hommes de Péguy, ces faubouriens de Belleville et de Bercy, quand ils virent au bout de leur retraite, en septembre 1914, l’immense Paris dans sa brume qu’ils allaient défendre ! L’un d’eux, Victor Boudon, un blessé de la bataille de l’Ourcq, écrit à cette date : « On aperçoit dans le lointain les lueurs blanches des projecteurs des forts parisiens, et, par instant, à travers les feuillages, les lumières de la capitale. Nos cœurs battent violemment à la fois d’émotion, de joie et de crainte. »

Un soldat, qui a bien su observer ces débuts de la campagne, résume ainsi son témoignage : « Atmosphère générale d’offrande. »


De ces vieux, de ces jeunes, qu’est-ce que la guerre fait ? Une fraternité. Binet-Valmer, engagé volontaire pour la durée de la guerre, m’envoie, du front où il se bat, un mot

  1. Jean Allard-Méeus : Lettre à sa mère.