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« Si je vous parais chercher, en vous faisant ce récit, une satisfaction de vanité, c’est que j’exprime bien mal mon sentiment, ma volonté. Je sais que je n’ai rien d’un héros. Chaque fois qu’il m’a fallu sauter le parapet, j’ai grelotté de peur, et la détresse qui m’a saisi en pleine action et que je vous disais il y a un instant n’est pas un accident dans ma vie de soldat. Je ne mérite aucun compliment d’aucune sorte. Ce sont les vivans qui m’ont entraîné par leur exemple, et les morts qui m’ont conduit par la main. Le cri ne sortit pas de la bouche d’un homme, mais du cœur de tous ceux qui gisaient là, vivans et morts. Un homme seul ne pourrait trouver cet accent. Il y faut la collaboration de plusieurs âmes, soulevées par les circonstances, et dont quelques-unes déjà planaient dans l’éternité.

« Pourquoi ai-je été choisi plutôt que tel officier, plutôt que tel soldat, parmi ceux qui furent mêlés à l’affaire et dont l’héroïsme n’a pas, comme mon courage à moi, connu de défaillance ? Pourquoi plutôt que le colonel de Belnay qui parcourait les lignes sous la pluie de grenades, ou le lieutenant Erlaud, ou le sous-lieutenant Pellerin, ou l’aspirant Vignaud, ou le sergent Prot, ou le caporal Chuy, ou le caporal Thévin, ou le soldat Bonnot ? (Il m’en citait indéfiniment.) Pourquoi ? on peut recevoir le souffle d’en haut et n’être qu’un pauvre homme.

« Si jamais vous racontez cette histoire, je vous demande instamment de nommer tous ces chefs et ces soldats, car ce serait un mensonge que j’aie l’air de monopoliser la gloire de cette belle journée de notre régiment. Le cri n’est pas à moi seul, il est à nous tous. Plus vous fondrez mon rôle dans la masse, plus vous vous rapprocherez de la réalité. J’ai la conviction de n’avoir été qu’un instrument entre les mains d’une puissance supérieure. »


II

Voilà les faits. En voilà du moins un échantillon, un échantillon du vin qui depuis deux ans fermente sur nos collines, du froment de nos sillons et du sang de nos batailles.

Mais tout cela, est-ce donc rien d’inconnu et d’inattendu ? C’est du fruit français, pareil à ce que la vieille nation produisit tant de fois le long des siècles ; c’est le vin, le froment, le sang