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CLASSES SUR LE FRONT

La vision de la mort nous a rapprochés du front. Là, sous la menace constante, là encore, « la classe continue. » L’école est plus que l’école, c’est un lieu de rendez-vous où on vient s’informer et se réchauffer. Des officiers sont attirés par elle, et lui font visite dans les loisirs de leur cantonnement, entre deux combats. Ils daignent parler aux enfans. « C’est ainsi, dit le témoin autorisé qui raconte ces faits, qu’à la faveur de cette horrible guerre, dont ce ne sera pas un des moindres bienfaits, nous voyons se réaliser notre rêve de l’école rendez-vous pacifique pour toutes les bonnes volontés, maison de famille pour les enfans et pour les parens, foyer national de concorde et d’union. »

Oui, tout près du front, la vie scolaire persiste encore. Quel déchirement quand il a fallu définitivement abandonner l’école devant l’ennemi qui avançait ! « Ah ! ma dernière classe ! écrit un instituteur, j’ai autant souffert que le vieux maître alsacien de Daudet. » Cet instituteur fit bien cependant de congédier ses élèves, car, l’instant d’après, des obus défonçaient l’école. Tout de même on s’obstine, on fait classe n’importe où, et les instituteurs de l’arrière qui, sous l’uniforme de soldat, viennent voir leurs collègues, admirent cette autre forme de courage. Le préfet de la Marne a félicité officiellement une institutrice d’avoir, en rouvrant son école, à la rentrée de 1914, dans un village qui n’existait plus, donné confiance à tous dans la reprise de la vie française. Mais le zèle n’a pas besoin d’être ainsi encouragé ; il a, tout au contraire, besoin d’être arrêté. L’autorité militaire s’en charge, et même l’autorité universitaire, là où elle peut pénétrer. On a évité les accidens ; mais, plusieurs fois, il s’en est fallu de peu. Dans la Marne, une troupe d’enfans que l’on conduisait à l’examen du certificat d’études a failli être victime d’une rafale soudaine. A Arras, le principal fait reconduire chez lui l’unique élève qui s’est présenté : la classe où il se serait trouvé fut éventrée. A Saint-Dié, le recteur fait suspendre les cours du collège de jeunes filles, le 5 février 1915. Le 6, à quatre heures du soir, heure de la sortie des élèves et de l’arrivée des mamans, un obus éclata à l’entrée même du collège. Une école de la Meuse encore ouverte fut démolie ;