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de musique cent fois qu’à notre langue « même perfectionnée par Bossuet et Massillon et Racine. » C’était l’opinion d’Alfieri, c’est la sienne. Pourquoi donc a-t-elle choisi le français, quand elle pouvait écorcher pareillement l’italien de son poète, l’allemand de son père ou l’anglais de son royaume ? Elle le dit au chevalier Cerretani : « J’écris en français, parce qu’elle [cette langue] me procure le moyen de dire plus facilement ce que je veux dire ; sinon je préférerais la vôtre… » Oui, je crois qu’elle écrit facilement : il n’y a pas trace d’aucun effort, dans ses longues lettres innombrables ; mais quel français ! Elle n’a pas de prétention, mais elle n’a pas de coquetterie : elle est incapable d’en avoir. Et ce n’est pas le style qu’on déplore en lisant ses lettres. Ce qui attriste, c’est qu’on sent que, même traduites en quelque langue d’Europe ou d’ailleurs, traduites en joli français par exemple, ses lettres ne seraient pas jolies. Elle ne nous offre que « son discours familier ? » Son discours familier ne vaut rien. Et, je l’avoue, elle m’impatiente parce qu’elle a eu, le 5 mai 1791, l’occasion d’écrire à André Chénier : une lettre de Mme d’Albany à André Chénier ! nous attendons une merveille ; et nous sommes déçus. La belle amante d’Alfieri écrit à l’amoureux de Fanny, de Camille et de Chloé : « Je crois que vos maux viennent de trop manger. Vous êtes gourmand ; l’ambassadeur… » c’est M. de la Luzerne, ambassadeur à Londres… « l’ambassadeur fait bonne chère, vous êtes faible, vous vous y livrez, de là dérivent tous les petits maux et les grandes mélancolies dont vous souffrez. La sobriété préserve de tout cela, elle tient le cœur content et l’esprit joyeux : l’esprit et le cœur dépendent beaucoup du physique… Ainsi donc, pour être maître de ce physique, il faut de la sobriété. Je vois d’ici toutes les objections que vous avez à me faire ; parce que je connais votre penchant pour la bonne chère… » Voilà comme elle écrit, jeune encore ; et comme elle écrit à André Chénier. Elle attribue à des nourritures ses mélancolies d’amour, son inquiétude poétique et le souci de la liberté française qui tourne mal. Elle ne savait pas et, en 1791, peut-être ne savait-on pas qui était Chénier ? Elle devait le deviner un peu. Elle ne devine jamais rien ! Elle a de fortes certitudes : elle n’a jamais de pressentimens. Elle est énormément dépourvue d’imagination.

Elle a une théorie de la littérature : il faut qu’elle en ait une, pour rendre des jugemens intrépides, et avec une assurance que le goût seul ne permet pas. La Delphine de Mme de Staël, elle l’appelle « un salmigondis de choses, d’immoralités et d’extravagances. » Elle n’aime pas du tout Mme de Staël et déclare Mme de Genlis « bien