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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/816

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Il pourra devenir important d’observer de très près le caractère, les manifestations et le développement de ce nationalisme libéral. Nous ne pensons pas qu’il doive se former une Russie des Jeunes-Russes. Et l’on s’avancerait peut-être avec imprudence dans les voies de l’analogie, en affirmant que des Jeunes-Russes apporteraient nécessairement à la France la même désillusion que les Jeunes-Turcs lui ont ménagée. On s’étonne cependant, on éprouve un certain malaise chaque fois que l’on découvre dans les milieux de gauche les traces d’une rancune inapaisée contre la France. Cette rancune, on en connaît l’origine. On sait de quelle erreur d’optique, de quelle injustice elle procède. Beaucoup de libéraux russes reprochent à la démocratie française d’avoir manqué à ses principes et à ses devoirs en se désintéressant de la politique intérieure de la Russie, en ne les appuyant pas contre le gouvernement qu’ils combattaient. Seuls, parmi eux, les esprits politiques consentent à reconnaître que la France devait se faire scrupule, s’interdire même d’intervenir dans les affaires intérieures de son alliée, que les convenances et les usages le voulaient, que, sans cette condition essentielle du « chacun maître chez soi, » l’alliance n’eût pas duré. Mais le propre de l’esprit de parti est d’étouffer les autres sentimens. En Russie, il a conduit souvent les milieux radicaux à l’iniquité vis-à-vis de la France. C’est ainsi que les journaux avancés ont parfois tenu un langage peu sympathique à l’égard de notre pays, attaqué des personnalités françaises. L’organe des Cadets, la Retch, pendant les jours décisifs de la fatale semaine de juillet 1914, est allé jusqu’à insinuer que la France hésitait à remplir les obligations de l’alliance. Sans doute, la communauté des batailles a chassé ces mauvais souvenirs et renouvelé l’atmosphère. Mais les partis ont quelquefois, comme les nations, des rancunes traditionnelles plus fortes que la raison elle-même. On peut espérer que, chez les libéraux-russes, la tradition changera de nature et de place. Pour le moment, il faut bien tenir compte d’un préjugé que j’ai encore entendu exprimer, toujours avec courtoisie, mais pourtant avec force.

Cette observation doit nous rappeler que, si l’alliance franco-russe s’est nouée par l’accord réciproque et la convenance des intérêts, un autre élément y a eu sa part. C’étaient les liens de la civilisation et de la langue. Il serait enfantin de