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d’Angers. C’était à n’y pas croire ! Vous dire avec quel singulier mélange de joie et d’angoisse j’ai brisé l’enveloppe, c’est bien inutile ; j’avais tant à espérer et tant à craindre ! Votre phrase si bien rédigée m’a ravi. J’ai remercié Dieu, qui m’envoyait ce soulagement ; la soirée s’est continuée assez longtemps, dans un bien-être moral que j’étais heureux de vous devoir. Lorsque, le lendemain, j’ai fait part de ma joie à Girard et à mes collègues, leurs complimens m’ont touché. En sortant de classe, il a fallu prendre son fusil et partir pour vingt-quatre heures aux remparts ; là encore, j’ai reçu bien des félicitations et fait bien des envieux ; en une heure, de bouche en bouche, la nouvelle a circulé, et on est venu me regarder rien que pour voir un homme qui avait reçu une lettre. Je n’exagère rien, ce que je vous dis là est la vérité pure. Souffrir au point de vue matériel est certainement douloureux, quoique, en somme, jusqu’ici, j’aie à peine éprouvé les tiraillemens d’une nourriture médiocre ; mais souffrir dans ses affections les plus vives et les plus profondes, ne pas oser penser même à ses enfans, de peur que le découragement et presque le désespoir ne vous prenne, c’est le supplice que je n’oserais pas souhaiter à mon plus cruel ennemi. Ce pauvre X… est venu, comme beaucoup d’autres, me complimenter ; lui aussi il a sa femme et sa fille en Touraine, son fils dans l’armée de la Loire. « Vous avez du calme pour deux mois, » me disait-il ; et en parlant ainsi, ses yeux étaient pleins de larmes ! Songez que, depuis le siège, c’est-à-dire en deux mois, cinquante personnes à peine avaient reçu des lettres, et que M. Thiers n’avait consenti à se charger que d’une vingtaine de billets. Vous pouvez donc vous dire, mes chers enfans, que vous avez fait un heureux, bien heureux. Comme toujours, vous avez été pour moi d’une affection attentive et fidèle dont je vous remercie bien profondément. » (18 novembre.) Il avait « du calme pour deux moisi ».


X

Dès le milieu de novembre, s’effacent les lugubres souvenirs de l’émeute, du passage de Thiers, des espérances évanouies. On discute encore sur la capitulation de Metz, et l’on pèse les responsabilités possibles :

« Vous savez, sans doute, quels bruits circulent à propos de