Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/865

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


XIII

Bientôt il trouva moyen de recommencer sa correspondance, et nous le suivons jour par jour. Le vieux lycée s’est ressenti, dès le début, du désordre public. C’est le grand souci d’Aubert. Ici, j’ai la bonne fortune de pouvoir recourir, en même temps qu’à ses lettres, à celles de M. Julien Girard : elles sont belles, vaillantes et touchantes. Il y est sans cesse question d’Aubert. C’est une noble chose de voir comme ces bons citoyens ont jusqu’au bout poursuivi sans trembler l’accomplissement de leur devoir. Le gouvernement légal ne leur avait pas ordonné de cesser les classes ; il leur restait encore des élèves assez nombreux, « la valeur, dit M. Girard, d’un bon petit lycée de province. » A ceux-ci s’ajoutaient bientôt les élèves fugitifs du petit lycée de Vanves, chassés par la brutalité des fédérés.

Et les maîtres ? Il en restait fort peu. Persévéreraient-ils jusqu’au bout ? M. Girard s’efforçait de les retenir, sans savoir s’il y réussirait. Ils avaient leurs défauts naturels, que les circonstances n’avaient pas adoucis. Celui-ci se blesse de tout : « C’est un crin. » Un autre trouve difficile de faire une classe avec le tapage que font les fédérés logés dans une des cours du lycée ; et peu à peu ils reprenaient leur liberté les uns après les autres. Aubert fut, jusqu’en mai, le plus ferme soutien de son proviseur.

Le lycée n’a guère un jour de calme. Ce sont sans cesse les visites des officiers fédérés, de la municipalité, d’autorités improvisées, de personnalités mal définies. Dès le 30 mars, la mairie réquisitionnait les grandes salles dont peut disposer le lycée pour tenir des réunions publiques. D’ailleurs, on n’en tint pas. Mais la crainte pesait, et devait s’aggraver encore.

Aubert n’eût pas été lui-même, s’il n’eût repris, malgré tout, ses habitudes du Siège, les sorties plus ou moins subreptices, les tournées de banlieue. Il eut la chance de trouver à Joinville-le-Pont une brave buraliste « fort polie, fort complaisante, » et quelque peu héroïque, qui lui fit passer ses lettres, et à laquelle nous devons de connaître ses beaux récits. Et l’on verra que sa bonne plume n’épargnera pas les membres de la Commune, « les uns violens, les autres faibles, tous réunis par le fait qu’ils sont compromis, et qu’une transaction ne pourrait avoir lieu sans qu’ils fussent soumis à l’action des lois. »