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et le faubourg se rejoignent, c’est un spectacle abominable. Six ou sept maisons du côté du faubourg, deux en face se sont écroulées, et on essaie en vain d’y étouffer le feu.

« Je vous parle seulement de ce que j’ai vu. Vous n’avez pas l’idée de la désolation publique. Aussi les terribles représailles exercées contre ceux qu’on trouve les armes à la main semblent-elles toutes légitimes. On ne sort pas de Paris ; j’ignore si on expédie encore beaucoup de prisonniers à Versailles ; dans tous les cas, la troupe, au moment du combat, passe par les armes tout ce qu’elle trouve derrière une barricade ; bon nombre de membres de la Commune ont déjà subi cette redoutable justice.

« J’ai vu hier fusiller X… J’étais à déjeuner chez Foyot ; un sergent l’a amené ; le nom seul de cet homme prononcé dans la foule a été son arrêt de mort. Déjà, on l’avait placé sur le trottoir, au-dessous de l’horloge, et les spectateurs s’écartaient pour laisser passer le peloton ; un prêtre s’est approché, mais X… a refusé son assistance ; le général qui commande au Luxembourg est survenu ; il a donné l’ordre que le condamné fut conduit au Panthéon et fusillé sur les marches en présence de tout le quartier. J’ai suivi ce triste cortège ; on a fait monter le misérable jusqu’au haut des marches : là, il a dû se mettre à genoux et, en une seconde, justice était faite. Songez que cent barils de poudre avaient été, par son ordre, descendus dans les caves du Panthéon ; le colonel Lisbonne avait pour instruction formelle d’y faire mettre le feu, et si un coup de fusil n’avait couché à terre ce drôle, tout notre quartier sautait… Convenez du reste que, pour mon compte, je l’ai échappé belle ; les mêmes précautions et les mêmes ordres concernaient le théâtre Cluny ; on a pu arrêter le feu avant qu’il eût pénétré dans les caves où la poudre était amassée. Mon voisin Rigault a été fusillé au coin du café Soufflet, entre la rue Racine et la rue des Ecoles ; celui-là encore ne l’avait pas volé. » (27 mai 1871.)

Pour le moment, la colère domine tout. Mais, le mouvement d’indignation passé, Aubert retrouve son bon cœur natif ; ses yeux se troublent ; le spectacle désolant de la répression de l’émeute l’afflige profondément. Pourtant, il ne peut pas écarter la pensée du châtiment nécessaire des meurtriers et des incendiaires.

« Tout cela est horrible ! Mais si vous pouviez voir le spectacle de Paris, cette nappe de feu qui entoure la ville, les