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d’Aoste, Hélène de France, amazone intrépide et suave, n’est-elle pas déjà l’otage royal ?

Et il chante cette princesse, Italienne de sang français, aux pieds de laquelle l’Italie a le droit d’offrir un hommage d’encens, puisqu’elle a fait siennes les inquiétudes de sa nouvelle patrie, et que, sur le pont du navire guerrier, qui ramenait du carnage les morts aux tombes maternelles, cette douceur de femme latine s’est inclinée sur les lits, où saignaient les blessés :


… Bénie soyez-vous, Hélène de France, dans notre mer qui vit saint Louis armé de la croix et de la lance. Bénie soyez-vous, car le commandement d’amour revient sur les mêmes eaux en votre âme… Dame de France, vous savez ce que vous portez, Vous portez, avec votre navire, les Rêves et les Ailes, et les Roses futures et le Chant nouveau au milieu de ces âmes et de ces souffrances. O Hélène qui, au front de nos morts, voyez empreinte la vertu de Rome, pour le grand pacte latin, vous portez aujourd’hui la verveine augurale au milieu de votre chevelure.


« Pour le grand pacte latin… » Le poète lyrique qui, depuis tant d’années, nourrissait dans son âme une volonté immense de puissance, l’auteur enivré des Odes navales, de la Laus Vitæ, des Chants du Souvenir et de l’Attente, de La Nef, de Plus que l’Amour, prévoit enfin l’accomplissement de son rêve ; il chante, en une vaticination presque sauvage :


… Douce France, ô sœur unique, par l’espoir muet qui se mire dans les eaux claires de ta Moselle…, par les champs mémorables d’où monte ta folle alouette en appelant, où les peupliers de la Meuse frémissent, où le sang crie dans le sillon, — France, reçois et garde la joyeuse promesse d’une plus grande vengeance que le fait toute cette chair sanglante. Coupe pour nous avec ta hache ancienne une branche au chêne lorrain sur la colline où Jeanne veille. Enroule, à la branche rude, la verveine qui jadis fut consacrée à nos pères, et envoie-nous l’offrande. L’éclair luit sur les statues voilées : pour nous aussi, l’éclair luit de ce côté. Sur le Capitole sans féciaux, nous suspendrons ta guirlande. Et toi, occupe le ciel de tes ailes, guerrière ailée. Nous, de nos chantiers, nous pousserons dans la mer de vastes vaisseaux…


Et tout ce prestigieux livre de Merope sonne comme un appel frénétique aux armes. Il retentit du choc des mêlées, des éclats des obus, de tout le fracas des batailles à venir. Tripoli qui en est le prétexte n’est, pour le poète des Chants de l’Attente, que la pierre à aiguiser où s’affilent les épées d’Italie pour le rachat suprême contre les fortunes inconnues :