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témoignages français, mais par des témoignages allemands eux-mêmes ; emploi de liquides enflammés et de gaz asphyxians, bombardement de forteresses sans avertissement, de villes non défendues, et d’édifices consacrés aux cultes, aux arts, aux sciences et à la bienfaisance; actes de cruauté à l’égard de populations inoffensives; en appendice, une troisième fois, l’assassinat, le meurtre juridique de miss Cavell, le meurtre juridique du capitaine Fryatt. Et il y a ce que les flots ensevelissent. Et il y a ce que cache le rideau de fer ; ce que l’on sait fait redouter davantage ce que l’on ignore.

Tout cela, assurément, n’est pas nouveau. Les rapts de Lille, de Roubaix, de Tourcoing ne sont pas les débuts des Allemands dans le crime, ni même dans ce crime. Dès qu’ils ont eu envahi la Belgique, dès le 25 août 1914, à Louvain, ils s’y sont essayés en maîtres. Ils en ont jalonné leur marche. C’est donc un système. C’est donc « l’armée la plus disciplinée, » comme disaient dans leur manifeste les Quatre-vingt-treize, c’est la nation la plus organisée, c’est l’État le plus gouverné du monde, que nous avons en face de nous. Et ce sont donc les crimes, non de quelques bandits ou de quelques détraqués, mais de toute une armée, de toute une nation, de tout un État; c’est le crime de l’Allemagne, c’est le Mal allemand. Mal endémique et perpétuel, avec des accès de fureur chronique. Les historiens, les philosophes, les juristes de l’Empire, « conseillers intimes actuels et Excellences, » ou désireux de le devenir, ont mis en théorie la pratique frédéricienne, et les militaires, à leur tour, mettent en pratique la théorie impérialiste de la germanisation par la spoliation et l’extermination. Lorsque le gouvernement allemand invita le gouvernement belge à céder à la menace allemande pour épargner au pays les « horreurs de la guerre, » il n’était personne en Belgique qui ne crût que « les horreurs de la guerre devaient se limiter à celles du champ de bataille. » Mais ce n’est pas ainsi que l’entend l’Allemagne. « Sois dur, Landgrave ! » est le mot d’ordre qui, du Grand Électeur et de ses ancêtres, à Bismarck, à Moltke et leurs successeurs; circule dans la politique prussienne. A la terreur par l’horreur. Pour nous, la noble femme dont la lettre demeurera comme un monument de douleur, s’écrie , après avoir conté le supplice de nos villes : « Surtout, surtout que nos soldats ne nous vengent pas, là-bas, par de tels actes : ce serait souiller notre beau nom de Français! » Voilà leur âme et voilà la nôtre, car, dans ce drame sans égal, ce sont bien leurs âmes que les peuples montrent. La leur et la nôtre sont incommunicables, et ce n’est pas seulement par le bord, selon le mot de Michelet, c’est par le fond que les deux