Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
11
LES MARAIS DE SAINT-GOND.

une déception pour les riverains, — comme si, en tout état cause, nos troupes pouvaient engager la bataille avec ces marais à dos ! Les contingens qui suivirent ne s’arrêtaient plus dans les villages. Infanterie, artillerie, cavalerie prenaient immédiatement la direction des marais. Des blessés racontaient qu’ils avaient repoussé une attaque de nuit aux Petites-Loges, près de Verzy[1] ; d’autres que l’artillerie allemande, en position vers Monthelon, les avait canonnés à Étoges. Verzy est au Nord de la Marne ; Étoges n’est qu’à quelques kilomètres des marais. Un nouvel avion ennemi glissa des collines en vol plané, comme un épervier. Mais il avait été signalé : un avion français se détacha, échangea avec lui des coups de feu. Le rapace n’insista pas.

Il avait vu d’ailleurs ce qu’il voulait voir : nos troupes en retraite sur toute la ligne, la rive septentrionale des marais dégagée, les routes libres dans toutes les directions. On était au matin du 5 septembre. Le canon tonnait « du côté de Montmort, Étoges, Congy[2]. » Nos arrière-gardes, parties de Voipreux dans la nuit[3], venaient seulement de s’engager dans les marais, et il y avait si peu de distance entre elles et les premières patrouilles ennemies que les habitans demeurés sur place se demandaient avec inquiétude si elles auraient le temps d’atteindre le Petit-Morin et de couper les ponts derrière elles. Mais on n’entendait aucun bruit d’explosion, sauf vers Croizard, où la passerelle en fer venait de sauter. L’angoisse grandissait. Est-ce que l’armée française, d’aventure, allait continuer son mouvement de retraite et abandonner aussi la rive méridionale des marais ? Ces marais pourtant, dont il lui était si facile de se couvrir, tous sentaient que c’était la dernière barrière, providentiellement placée sur la route de l’invasion, — et nous agissions exactement comme s’il n’avait pas été dans nos intentions de l’utiliser ; nous semblions avoir oublié la fonction historique de cette grande tranchée naturelle de plusieurs kilomètres !

  1. « Une attaque de nuit a été repoussée aux Petites-Loges, à trois heures et demie (4 septembre), par la 9e compagnie : 3 tués, 12 blessés et le lieutenant commandant de la compagnie. On a fait 4 prisonniers et rapporté une vingtaine de casques. » (Journal de X…)
  2. La Guerre en Champagne : Récit de M. l’abbé Rouyer.
  3. « Départ 2 h. 45 par Bergères-les-Vertus, Écury, Fère-Champenoise, pour Œuvy. » (Journal de X…)