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LES MARAIS DE SAINT-GOND.

ment, où le général Humbert venait de s’installer avec son état-major ; nous gardions toutes les hauteurs voisines, la crête du Poirier, l’Homme-Blanc, Montalard, Montgivroux, le bois de Saint-Gond. Sur la route d’Oyes même, devant l’entrée de l’ancien prieuré, nous organisions une solide barricade, défendue par des tirailleurs et deux mitrailleuses ; nos troupes prenaient position sur tout le front au Sud des marais ; l’artillerie se postait entre Mondement et Broyes, sur Allemant et à contre-pente du Mont-Août… L’ennemi s’étonne de tant d’audace. Il ne peut croire à une volte-face générale des troupes françaises et que nous osions lui disputer « le fier privilège de l’initiative, » pour parler comme Bernhardi. Cette bataille qui s’engage à l’improviste lui apparaît encore comme une escarmouche d’arrière-garde, un peu plus violente que les autres seulement. En fin de compte et sauf à notre gauche, où, par suite du repli de Franchet d’Espérey, von Bülow débordait assez dangereusement notre flanc, nous couchâmes, l’ennemi et nous, le soir du 5, à peu près sur nos positions respectives. La nuit était claire, une nuit des premiers jours de septembre, étoilée et profonde. Vers onze heures du soir, la canonnade s’éteignit ; les marais s’enveloppèrent de silence, mais, à l’Ouest, le ciel rougeoyait : c’étaient Vert-la-Gravelle, Pierre-Morains et Coligny qui brûlaient.


II. — LA JOURNÉE DU 6

Quand l’aube se leva, le dimanche 6, tout encore était calme. On n’aurait pas dit que la guerre s’était abattue sur ce paysage mélancolique. De l’immense nappe de troupes qui avait recouvert les abords des marais, rien n’apparaissait à l’œil nu ; des halbrans s’appelaient dans les roseaux, que commençait à toucher la rouille de l’automne. La paix était si grande que les habitans, terrés dans les chambres sépulcrales de la côte, croyant tout danger écarté, sortirent de leurs trous et descendirent vers le village. Il était six heures. « En attendant le café, écrit l’instituteur Roland, nous gravissons l’éminence située à l’Ouest de l’école pour jeter un coup d’œil sur la plaine. Pas de soldats, aucun bruit. » Calme trompeur : des balles sifflent à leurs oreilles ; nos troglodytes n’ont que le temps de faire demi-tour et de regagner leurs terriers.