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positions craquaient les unes après les autres. « À trois heures du matin, dit le curé de Reuves, il fallut employer les mitrailleuses. » Leur feu refoula l’ennemi sous bois : il reprit alors son pilonnage… Mondement, par ses fenêtres vides où dansent des lueurs d’incendie, regarde tomber autour de lui les pans de sa splendeur : à chaque instant, une brèche s’ouvre dans ses murs ; ce qui reste des toitures s’effondre ; la superbe limousine des châtelains est réduite en miettes ; un cheval, le dernier de l’écurie, leur dernière chance d’évasion, réduit en bouillie. Les malheureux s’étaient blottis dans une cave : la tour qui la surmontait s’écroule, et, de ses décombres, bouche en partie l’unique entrée de la cave ; un peu plus, ils étaient emmurés vivans. Affolés, ils quittent leur abri, qui leur semble moins sûr que le plein air et courent se réfugier sur le plateau, derrière un gros charme : un obus le fauche au-dessus de leur tête ; d’autres « piquent » en terre tout autour d’eux. « Impossible de rester dehors, écrit l’abbé Robin : nous rentrons au château ; une bombe perce la façade juste à l’endroit on nous sommes. Pour comble de malheur, nos provisions de bouche sont épuisées. Nous nous décidons à partir. Mais M. Eugène Jacob ne peut nous suivre. « Pour vous, dit-il, partez. Laissez-moi ! » Nous nous y refusons. On le portera, s’il le faut. Enfin, il se décide. On part. Nous faisons des étapes d’environ cinquante mètres… » De ce train, et battue par un feu d’enfer, jamais la petite caravane ne fût arrivée à destination, si elle n’avait rencontré une patrouille de gendarmes qui se rendaient à Sézanne : les braves Pandores acceptent, en passant par Broyés, de porter au général Humbert l’ardente supplication des fugitifs [1]. Le général leur dépêcha un de ses officiers avec une auto : par les routes défoncées, dans la nuit, sous les obus, ce fut miracle si les pauvres gens purent arriver sans autre méchef à Broyés, où l’encombrement était tel qu’ils durent passer le reste de la nuit sur des chaises. Le lendemain, une voiture les emmenait à Sézanne et ils prenaient le train pour Montereau. Mais l’émotion avait été trop forte pour M. Eugène Jacob, atteint d’une grave maladie de cœur, et qui expirait en débarquant…

  1. Asker dit que c’est un paysan qui, dans la nuit, remit au général Humhert un billet des fugitifs. Nous avons préféré suivre le récit du curé de Reuves, qui nous a été communique par M. l’abbé Millard.