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communes épreuves. De plus en plus les tendances intellectuelles des deux pays se sentiront entraînées dans la même direction ; et aucun esprit sérieux de chez nous ni de chez vous ne pourra se désintéresser de l’œuvre civilisatrice ainsi commencée la main dans la main.

C’est alors qu’il importera plus que jamais que nos classes intellectuelles, en Angleterre, examinent attentivement les qualités propres au goût et à l’esprit français, — et en considérant ces qualités, pour ainsi dire, tout au long de l’histoire, au lieu de n’envisager que les tentatives de récens novateurs. Les mouvemens nouveaux, en art et en littérature, sont souvent des manifestations isolées et individuelles : leur valeur dépend de la personnalité qui les a provoqués. Mais, pour que l’influence spirituelle d’un pays sur un autre ait chance d’être durable et d’être bienfaisante, cette influence doit toujours se fonder sur des attributs plus généraux. C’est par un procédé impersonnel et presque involontaire qu’une nation emprunte à une autre nation ce qu’elle estime d’instinct devoir lui être utile. Or, il n’est pas douteux que, lorsqu’on la regarde ainsi dans l’ensemble, du point de vue de l’étranger, la culture générale française se caractérise surtout par son besoin naturel d’élégance. Nulle autre part, dans la société et dans la littérature de l’Europe, la vie n’est vécue d’une allure aussi légère, et sans que, du reste, cette légèreté implique le moindre sacrifice aux dépens de la solidité ou de la profondeur ; — une allure qui s’étend à tous les modes les plus divers de la pensée nationale, de telle façon qu’elle permet, par exemple, à l’auteur des Provinciales de prêcher l’amour de Dieu en des termes qui ont la grâce d’une scène de comédie et l’attrait délicat d’un roman mondain.

Et, pareillement, il faudra que la France nous enseigne à épurer notre littérature, en y introduisant plus d’ordre et de mesure. Aussi bien n’y a-t-il rien de plus séduisant, pour l’étranger studieux, que les vertus « classiques » de votre race dont vos oreilles, et vos yeux ne s’aperçoivent même plus, accoutumés qu’ils sont à les rencontrer toujours et de tous côtés. Nos classiques, à nous, ont de la richesse et de la force, et parfois aussi une splendeur incomparable. Au long de l’avenue des siècles, ils déploient leurs phrases comme des robes chargées de broderies d’or, s’imposant à notre admiration par