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TU N’ES PLUS RIEN

DERNIÈRE PARTIE[1]

On était à la fin d’octobre. La guerre, toujours violente et meurtrière, sur toute la ligne de combat que l’on appelait la bataille de l’Aisne, remontait plus terrible vers le Nord et reprenait, comme à ses débuts, en Belgique. L’angoisse générale, interrompue par le gigantesque refoulement de la Marne, reprenait à peine moins vive qu’aux premiers jours. Surville ne pouvait qu’être désert en cette saison, et lugubre, au bord de la mer. Le grand hôtel de Normandie était clos, les autres trop peu confortables et, d’ailleurs, pour s’isoler, ne pas entendre parler du matin au soir de la guerre, le mieux était de louer une petite villa. On conseilla à la jeune femme un pavillon, séparé de la rue par un cordon de peupliers jaunes, jouissant d’un étroit parterre gazonné où deux~ pergoles devaient, l’été, porter des buissons de roses. Pour le moment, ce logement était d’une accablante tristesse qu’accroissait alentour le silence de la ville morte. Odette trouva cela tout à fait convenable. À peine arrivée, elle fit un pèlerinage sous les fenêtres de l’appartement qu’elle avait occupé avec Jean k l’hôtel de Normandie ; tout y était fermé et morne ; un vent d’Ouest avec des nuages lourds montaient de la campagne vers la mer ; l’ancien casino, si pimpant jadis, si gai, était tout clôturé de planches, une affiche de courses était encore apposée à l’entrée. Odette parcourut l’allée droite qui franchit la dune, entre les tennis

  1. Voyez la Revue du 15 septembre.