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« Qui n’a le cœur au loin, pendant la guerre ?... Qu’aura été la Grande Guerre ? Une époque où toutes les âmes sont parties. » C’est un départ aussi qu’il raconte, et sa maison qu’il a quittée : Dulcia linquimus arva... « J’aimai à mon pays... » Son pays, c’est la France et, dans la France, le Valois, « la contrée de Nerval et de Rousseau, les promenoirs de La Bruyère et de Théophile, et Chaalis, et les déserts d’Ermenonville, et les blondes campagnes, et les ruisseaux flexibles du Valois... » Il a « une âme d’envahi ; » son récit, tout simple et d’une élégance discrète, c’est plus de peine qu’on n’en a sans que les larmes viennent aux yeux, larmes qu’il cache et qu’on devine, et qui appellent d’autres larmes. Un second volume de M. Boulenger, Sur un tambour, est un recueil d’essais où, parmi tant de pages frémissantes, on trouvera un beau portrait, et qu’on dirait d’école italienne, du colonel Peppino Garibaldi, un portrait du quattrocento. De l’Arrière à l’Avant, c’est le recueil de M. le bâtonnier Chenu, vif écrivain, grand avocat dans la chronique même et qui toujours plaide la meilleure cause : la cause de la France ; et avec une éloquence précise, une éloquence d’affaires et dont l’accent vient du cœur. M. Fernand Laudet n’a pas continué plus avant que le printemps de l’an dernier son Paris pendant la guerre ; et c’est dommage : ses « impressions » avaient une justesse bien souvent exquise, un charme de mélancolie brave, un tour aisé, de la grâce et de la force.

Voilà, en résumé, le service de guerre de nos chroniqueurs. Un bon service. Il s’agissait de maintenir, au milieu des tourmens de tout un pays, les idées et les sentimens les plus vrais et, pour ainsi dire, les plus toniques. Il s’agissait de donner aux vertus admirables que réclamait la guerre un attrait de beauté, de raison. Il s’agissait d’organiser la résistance des âmes et aussi leur activité charitable. Tout cela fut fait. Si les civils tiennent, la littérature les a secondés.

Ces œuvres du temps de la guerre, et qui pour le moins resteront comme un témoignage au grand honneur de la littérature, annoncent la littérature des lendemains de la guerre, l’annoncent mystérieusement encore ; on ne devine pas tous ses caractères : on sait que la guerre l’aura touchée. Il est impossible qu’après un tel émoi, dont les signes sont manifestes, elle ne garde pas longtemps, — et, puisque, d’effets en effets, les causes durent, il est impossible qu’elle ne garde pas à jamais le souvenir et la marque des années effroyables et sublimes.


ANDRE BEAUNIER.