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le fort de trois côtés, il est autour, il est dessus, il est dedans. Et, têtu, le fort refuse de se rendre. Isolé tout un jour, il ne se sent pas abandonné. Au dehors, il en est certain, on travaille pour lui. A l’intérieur, il multiplie les barrages et les barricades. Il défend marche à marche les escaliers et, pas à pas, les couloirs. Il supporte le canon, les mitrailleuses, les grenades, les flammes, la fumée, la soif, l’empoisonnement, la pourriture. Il ira jusqu’à la limite des forces humaines, celle qui recule encore lorsque l’on croit l’atteindre et qui dépasse l’attendu et le possible. Entre ses pierres resserrées, sous ses voûtes sonnantes, le douloureux sacrifice s’accomplira jusqu’au bout.

Un sous-lieutenant du 142e régiment, qui fait partie du bataillon Chevassu et se bat sur le plateau hors du fort, décrit à un camarade ces terribles journées : « Tout n’était que feu et poussière, et, dans cet enfer, quelques soldats aux aguets empêchaient les masses boches de passer. Leurs attaques se sont renouvelées tous les jours, tantôt frappant ici, tantôt frappant là ; jamais nous ne leur avons cédé un pouce de terrain, tant qu’il y a eu un soldat pour le défendre. Je ne te dirai pas les souffrances que nous avons endurées. Pas d’eau, pas de ravitaillement : ceux qui ont voulu nous en apporter sont restés en route. Il n’y a que les munitions qui ne nous ont pas manqué. Nous sommes exténués, mais si heureux d’avoir fait notre devoir, d’avoir contribué à empêcher les Boches de prendre Verdun que leur Empereur leur avait promis et qu’ils n’auront jamais !... Il faudrait qu’ils passent sur nous et qu’ils marchent sur les cadavres de tous ceux que nous leur avons tués... Ils nous attaquaient de trois côtés à la fois, leur étreinte n’a pas pu nous saisir... »

Pendant la journée du 3 juin, l’ennemi veut exploiter la prise de Damloup et contourner le fort à l’Est. Des élémens du 142e et du 53e régimens le contiennent et même, passant à l’offensive, le contraignent à reculer.

A tous les échelons, armée, corps d’armée, division et brigade, le commandement soutient la lutte qui s’étend du bois Fumin au fond de la Gayette, alimente le combat, prépare des contre-attaques. Contre-attaque sur Damloup, dès la matinée du 2 juin, qui du moins dégage la batterie. Gontre-attaque sur le fort dès le soir du 2, par un bataillon du 53e régiment qui doit traverser des barrages meurtriers et ne peut que renforcer