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— Votre Altesse royale m’étonne beaucoup, monseigneur, en attribuant un tel dessein aux Puissances, objecte Ranghabé, le ministre hellène. Je ne crois pas qu’elles aient cette intention.

Mais Ferdinand persiste dans son dire.

— Je suis bien informé, déclare-t-il. En tout cas, je compte sur la Grèce.

Il sait bien que le péril qu’il signale n’existe pas. D’Autriche, d’Italie, de Belgique, d’Angleterre même, il est averti secrètement que l’Europe n’entreprendra rien contre lui. Mais il trouve bon d’exciter le chauvinisme bulgare pour s’assurer dans le Sobranié une majorité favorable aux propositions de ses ministres.

Sur ces entrefaites, la princesse Clémentine de Cobourg arrivait à Sofia, afin d’y passer quelques semaines auprès de son fils et de lui apporter l’appui de sa présence. Elle préludait ainsi aux nombreux séjours qu’elle devait faire par la suite dans la principauté, ayant à cœur de prouver aux sujets de ce fils chéri qu’elle ne se lasserait jamais de l’assister de ses conseils et de son expérience. Les ministres allèrent la recevoir à la frontière, tandis que Ferdinand l’attendait à Slivnitza. Elle fit à Sofia une entrée solennelle, les troupes formant la haie de la gare au palais. Le spectacle de cette fille de roi, issue de la plus illustre race du monde, assise à côté du souverain, souriant à la foule qui les acclamait, valut peut-être au prince ce jour-là un regain de popularité. Mais il ne le réconcilia pas avec l’Europe. Les membres du corps diplomatique étranger ayant été prévenus que la princesse avait exprimé le désir de les recevoir, les uns refusèrent de se rendre à cet appel dans la crainte d’être blâmés par leur gouvernement ; ceux qui s’y rendirent le firent à titre privé et en redingote, bien qu’on leur eût formellement demandé de se présenter en uniforme.

Quelque pénibles que fussent des incidens de cette nature, Ferdinand ne s’en inquiétait pas. Il se savait secrètement soutenu par l’Autriche. Le Ballplalz ne se prononçait pas en sa faveur, mais, avec son astuce accoutumée, il paralysait les tentatives russes et encourageait sous-main l’inaction de la Turquie. « Nous ne repoussons pas en principe, disait Kalnocky, l’idée d’une démarche collective des Puissances en vue de proclamer l’illégalité du pouvoir du prince de Cobourg. Mais avant