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Vers le même temps, on l’entend déclarer qu’il ne peut se garder du poignard des assassins qu’en se maintenant au pouvoir ; il ajoute :

— Quand je tomberai, si je réussis à fuir sain et sauf à l’étranger, j’y serai poursuivi par mes ennemis et je n’échappe rai pas à leur vengeance.

Il ne se faisait donc pas illusion sur le sort qui l’attendait. Mais plus se fortifiait sa conviction à cet égard, plus il devenait impitoyable envers ses adversaires, envers quiconque était soupçonné de vouloir le renverser. C’est ainsi que, dans la nuit du 2 au 3 février 1890, averti par une dénonciation des allées et venues du major Panitza, inspecteur de la justice militaire, tendant à faire croire que ce personnage préparait un mauvais coup, il l’avait fait arrêter à son domicile. Il s’y était ensuite transporté, afin d’y perquisitionner, ne voulant laisser à personne le soin d’instruire cette affaire. Les papiers saisis chez Panitza, et ses aveux ne laissaient aucun doute sur ses menées révolutionnaires. Le prince alors en voyage devait être appréhendé en rentrant à Sofia et les ministres avec lui. Comme l’accusé reconnaissait qu’il avait compté sur le concours d’une partie de la garnison et de plusieurs civils, vingt personnes, soupçonnées de s’être engagées à le seconder étaient arrêtées quelques heures après lui, parmi lesquelles plusieurs officiers, et le préfet de police lui-même qu’on relâchait ensuite, faute de preuves, mais en ne lui laissant qu’une apparence d’autorité.

Nature de brigand et d’aventurier, perdu de dettes et chargé de crimes, Panitza ne méritait guère qu’on s’apitoyât sur son sort ; on ne peut donc blâmer Stamboulof d’avoir voulu faire un exemple dans sa personne, en le traduisant en cour martiale ainsi que ses complices afin de terroriser ceux qui seraient tentés de l’imiter. Mais toujours fougueux, emporté, intraitable dans ses résolutions, il commit la faute, après avoir livrer le coupable à ses juges, de ne pas l’abandonner à son sort et de prétendre leur dicter la sentence. Par peur ou par conviction, ils étaient disposés à une indulgence relative, alléguant la fragilité des preuves qu’il invoquait pour établir que Panitza, soudoyé par un gouvernement étranger, avait voulu la mort du ministre ; mais cette modération indignait Stamboulof.

— Dans un procès tel que celui-ci, disait-il, on ne doit pas juger d’après les faits et d’après les preuves matérielles, mais