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UN CONVENTIONNEL EN MISSION[1]

Joseph Lakanal, non, ce ne fut pas exactement un imbécile. Mais on l’a comparé à Marc-Aurèle ! Entre l’un et l’autre, plus loin de Marc-Aurèle que de l’autre, il a été un conventionnel ordinaire, et non des plus féroces, l’un de ces braves hommes dont l’apologie se fait ainsi : « Au bout du compte, il n’a guillotiné personne ! » Cependant, lors du procès de Louis XVI, il répondit sur la question de l’appel au peuple : « Si le traître Bouillé, si le fourbe La Fayette et les intrigans ses complices votaient sur cette question, ils diraient oui ; comme je n’ai rien de commun avec ces gens-là, je dis non ! » et, quant au verdict : « Un vrai républicain parle peu. Les motifs de ma décision sont là… » De sa main républicaine, il montrait la place ou les alentours de son cœur et concluait : « Je vote pour la mort. » Je ne sais pas du tout pourquoi Joseph Lakanal prétend que les républicains parlent peu. En 1793 déjà, ils parlaient énormément. Joseph Lakanal, en 1793, avait à peine plus de trente ans et ne manquait ni d’éloquence ni d’emphase. Il a beaucoup parlé, dans sa vie, et n’est pas mort avant quatre-vingt-deux ans passés. La cocasserie de son langage, voilà peut-être son originalité la plus attrayante.

M. Henri Labroue vient de consacrer, non pas à tout Lakanal, mais seulement aux dix mois qu’a duré la mission de Lakanal en Dordogne, un gros volume de sept cents pages in-octavo. Si l’on dit que c’est

  1. La mission du conventionnel Lakanal dans la Dordogne en l’an II (octobre 1793-août 1794), par Henri Labroue (Champion, éditeur), et Lakanal en Amérique, par Eugène Welvert (Feuilles d’histoire, septembre-octobre 1910).