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qu’ils ont été surpris. Ils n’attendaient peut-être pas notre attaque pour ce jour-là, mais il y avait plusieurs jours qu’ils s’y attendaient, et ceux de leurs subordonnés qui se plaisent à la facétie s’étaient fort divertis à nous le signifier, à leur mode, par des écriteaux. Non, ils n’ont pas été surpris ; mais, quoique parfaitement avertis, ils ont été parfaitement battus. Les divisions, — nous ne dirons pas « d’élite, » - — car ce serait faire injure aux autres, qui les valent, — mais les divisions magnifiques rassemblées sous les ordres du général Mangin se sont ruées à son signal. D’un bond, ou plutôt en deux bonds, avec le repos prévu d’une heure, elles ont, sur sept kilomètres de longueur, reconquis une profondeur de deux à trois kilomètres de sol lorrain, de sol doublement français. Nous avons, eu la joie de saluer dans un bulletin de victoire ces humbles et chers villages dont le martyre prolongé nous avait émus jusqu’aux larmes : Douaumont, Thiaumont, Haudromont, Vaux, Fleury ; ces bois qui, aux printemps futurs, ne reverdiront plus, mais qui, pour tout homme, toute femme et tout enfant de notre race, sont désormais des bois sacrés. La ligne, devant Verdun, sur la rive droite de la Meuse, est redevenue à peu près ce qu’elle était, après le choc initial, l’ouragan furieux, le raz de marée qui submergeait nos ouvrages hâtifs et ruinait nos citadelles d’acier et de béton, au 24 février. Ainsi huit mois de combats, huit mois de vaillance et de souffrance, sinon, hélas! huit mois de deuil, sont effacés. Des centaines de milliers d’Allemands, et, malheureusement aussi, des milliers et des milliers des nôtres, sont tombés pour rien. Non pas pour rien, les nôtres. Ils sont tombés pour la plus grande cause qui s’offre au dévouement d’un patriote et d’un soldat, pour qu’il ne soit pas attenté au territoire national et pour que n’ait point dépéri en leurs mains l’héritage des ancêtres. Leur sacrifice a été d’une utilité qui en égale la beauté et qui les élève au sublime, aussi sûrement que des héros légendaires s’y soient élevés. Mais le Allemands qui se vantaient d’avoir arraché la pierre angulaire de la principale forteresse du principal ennemi (c’était nous, pour la circonstance), ils sont tombés pour rien. La pierre s’est redressée, route sur eux et les écrase. Verdun écrase le renom allemand, le prestige allemand, l’organisation allemande, l’invincibilité allemande. Un grand homme d’État l’a dit : « La pire erreur qu’un général puisse commettre est d’avoir en sa propre armée un excès de confiance, et de faire indiscrètement trop bon marché de celle qu’il a en face de lui. » Ce fut cette erreur qui, commise jadis par l’orgueil espagnol, sauva déjà la France à Rocroy. Et nunc erudimini!