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sent pas en état de se maintenir sur la rive droite de la Meurthe, aux abords Nord-Nord-Ouest de Lunéville : on le renforce par une brigade mixte du 20e corps (général Ferry) sur la position de Flainval.

Les troupes allemandes se mettent en mouvement. Elles sont observées par un témoin qui nous raconte leur passage par les villages de la frontière qui, la veille au soir, avaient vu disparaître les dernières arrière-gardes françaises :


Tout à coup, des hurlemens sauvages et une galopade effrénée retentissent dans la grande rue et, courbés sur leurs chevaux lancés au galop, la bride dans les dents, la lance en main, le revolver de l’autre, jetant des regards furieux de tous côtés, passent comme un ouragan six cavaliers vêtus de gris : ce sont des chevau-légers bavarois.

Épouvantés, les habitans s’enferment dans leurs maisons. Dix minutes après, de nouveaux hurlemens et le vacarme effrayant d’une galopade. C’est une avalanche de 200 cavaliers qui descendent la grande rue. Ils s’arrêtent au bas du village (Réméréville), dans la cour du château.

Un bruit sourd, cadencé de troupe en marche. Une colonne d’infanterie passe. Les hommes vont d’un pas allongé. Ils sifflent une mélopée monotone et triste qui scande leur marche. Une troupe arrive au pas gymnastique et disparaît au tournant de la route de Nancy. Le village est bientôt rempli de soldats. Des automobiles arrivent sans cesse, des officiers en descendent. Des cyclistes, des cavaliers partent de tous côtés. A la même heure, des colonnes allemandes débouchaient à Mazerulles, Erbéviller, Courbessaux, Drouville, Maixe.

Voilà que les soldats se répandent dans le village. Ils parcourent les maisons, les écuries, les greniers, toutes les pièces ; ils regardent dans les coins, ils ouvrent les armoires, ils enfoncent les baïonnettes dans les matelas. Et, toujours, ils frappent les murs avec la crosse de leurs fusils et, de leurs bottes aux talons ferrés, ils martellent lourdement les planchers… Ils sont méfians. Il faut goûter avant eux aux alimens qu’ils emportent[1].


Une scène sur le vif :


Près de la fontaine, au milieu du village, une troupe est arrêtée. L’officier crie devant les maisons fermées : « Monsieur ! monsieur ! » Personne ne répond. Enfin, il se décide, pénètre dans la demeure la plus proche, et en fait sortir une jeune fille, Marie-Thérèse Guérin. « Pourquoi ne répondiez-vous pas ? demande l’officier. — J’étais dans le jardin derrière. — Prenez ce verre et buvez. Si cette eau est empoisonnée, vous en répondez. » La jeune fille prend l’eau à la fontaine et boit.

L’officier se tourne vers ses soldats et dit : Es ist gut ; puis, il interroge : « Y a-t-il soldats français ici ? Quand sont-ils passés ? Avaient-ils l’air découragé ? Peuvent-ils se battre encore ? Où ont-ils fait leurs

  1. C. Berlet, Réméréville.