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qui ne peuvent bouger et attendent des secours. Il faut aller les chercher : aussitôt les infirmières confectionnent des brancards de la Croix-Rouge avec des bandes de toiles déchirées et des morceaux d’étoffe rouge coupés à de vieux édredons et à des pantalons de soldats.

Le combat s’apaise au commencement de l’après-midi. Des hommes, des jeunes gens partent avec des brancards improvisés pour relever les blessés. Monsieur le curé est déjà sur le champ de bataille, soignant et consolant ; quelques femmes et jeunes filles vont porter de l’eau. Partout des supplications : « A boire ! emmenez-nous ! » Plus loin, dans les champs, dès qu’apparaît ce groupe de femmes, des mouchoirs blancs s’agitent, des bras se lèvent en signe d’appel… Il y a maintenant des blessés dans toutes les chambres du vieux château et de la Gaye, il y en a dans la grange, dans les écuries, dans la cour…

Le canon s’est tu. La nuit est calme. Dans le ciel montent de grandes lueurs. A Cronville et Courbessaux, des maisons brûlent.


Au Sud, vers 13 heures, la canonnade allemande avait faibli ; probablement des dispositions nouvelles étaient prises par les Allemands pour échapper au désastre qui les menaçait au Sud de la Meurhe. En fin de journée, le 20e corps d’armée occupait, avec la 11e division, les hauteurs de Sommerviller, de Flainval et d’Hudiviller et, avec la 39e, le front Saint-Nicolas-Manoncourt. Toute la garnison de Nancy était sur pied et s’alignait sur la forêt de Champenoux.

De ce côté encore, l’ennemi était vaincu.

Partout, il était ou en fuite ou contenu. La journée était très belle : peu s’en était fallu qu’elle ne fût magnifique.


J’arrête, de parti pris, le récit de la bataille au 26 soir, parce que, dès cette date, le résultat stratégique de ces formidables batailles où 500 000 hommes peut-être furent engagés, est obtenu. L’ennemi n’a pu pénétrer dans la trouée de Charmes, et c’est le point décisif en ce qui concerne l’ensemble de la campagne de France. Ce résultat stratégique, dont l’importance ne peut être exagérée, est double. D’une part, il vise le grand plan d’écrasement de l’armée française par étreinte qui était celui des Allemands et qui était destiné à en finir avec la France en six semaines. D’autre part, en contenant et refoulant bientôt jusqu’à la frontière l’offensive de l’aile gauche allemande en Lorraine, il donnait le loisir au grand État-Major français de transporter une grande partie de ses forces de l’Est à l’Ouest, de façon à pouvoir reporter sur l’aile droite de l’armée d’invasion les troupes mêmes qui avaient brisé l’aile gauche :