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l’arrêt brusque des échanges extérieurs, une violente crise commerciale et financière se déclencha dans la Cité, à la Bourse, dans la banque ; on a déjà vu exposer ici, de main de maître[1], par quelle série d’habiles mesures le gouvernement sut alors parer au danger, puis enrayer le mal, si bien qu’au bout de peu de semaines, grâce à la suprématie de la marine, la vie économique était prête à reprendre. Cependant, au Parlement, dans la presse, les partis politiques ont fait trêve. Le premier vote of crédit, réclamé par M. Asquith pour la guerre, est passé à l’unanimité, comme seront tous les suivans. Le chancelier de l’Echiquier, M. Lloyd George, dont le radicalisme fiscal et social a jadis soulevé tant de tempêtes, demande et obtient, pour les débuts de la conduite financière de la guerre, l’appui, mieux : la collaboration officieuse, de l’ancien ministre des Finances unioniste, M. Austen Chamberlain ; un jour, celui-ci, pour dégager sa responsabilité, en viendra même à se demander, devant la Chambre des Communes amusée par ce trait, « s’il ne ferait pas bien de se retirer d’un Cabinet dont il n’est d’ailleurs pas membre. »

L’Angleterre a, en matière de finances de guerre, des traditions très anciennes et très arrêtées, qui veulent qu’on demande le plus possible à l’impôt et à l’emprunt le moins possible. Adam Smith et Gladstone ont été presque jusqu’à condamner le principe même des emprunts de guerre, et Mac Culloch s’est évertué à démontrer que Pitt et ses successeurs auraient pu et dû couvrir par l’impôt seul les frais de la grande lutte contre la Révolution et l’Empire. De fait, l’Angleterre dépensa 831 millions sterling pour cette guerre de 1792-1815, et là-dessus l’emprunt en fournit 391, soit 47 pour 100 ; à cet effet, il dut être quadruplé, absorbant à la fin jusqu’à un quart ou deux septièmes du revenu national. La guerre de Crimée coûta 67 millions, dont Gladstone paya 35, soit plus de moitié, sur le produit des contributions. Lors de la guerre du Transvaal, le gouvernement unioniste, se relâchant un peu de la tradition, ne demanda aux taxes publiques qu’un tiers environ de la dépense, pour quoi il fut très critiqué par les libéraux qui, revenus au pouvoir en 1905, se mirent en mesure d’amortir très vite la nouvelle dette de guerre. Chaque fois, on partit du

  1. La défense économique de l’Angleterre, par M. R.-G. Lévy, dans la Revue du 15 septembre 1914.