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vite abandonnées sur les boissons, on vit M. Lloyd George s’abstenir de réclamer aucun nouvel effort fiscal. Sa déclaration du 4 mai 1915 au Parlement est un beau morceau d’éloquence financière, riche, a-t-on dit, en préceptes de taxation, mais sans la moindre taxe nouvelle à proposer. Les frais de la guerre et les appels au crédit grossissent de jour en jour, mais cette fois l’impôt reste stationnaire ; la hausse de l’impôt ne suit pas celle des dépenses et des emprunts. N’est-ce pas là, selon les vues anglaises, une faute contre la tradition ? Comment s’explique, après l’énergique effort du début, cette temporisation fiscale, si peu en harmonie avec les belles déclarations passées, avec les grands principes britanniques ?

Elle s’explique par l’état des esprits et des choses en ce temps-là. Sans contact avec la guerre, mal éclairée sur la portée des événemens, la masse du pays ne réalise pas encore le caractère vital de la lutte, sa durée, les sacrifices qu’elle réclamera, et sans doute est-il vrai de dire que le gouvernement lui-même ne mesure pas l’immensité de l’effort à fournir. Ce qui favorise cette mentalité du wait and see, c’est que l’Angleterre ne souffre pas dans ses intérêts depuis la fin de la crise qui a marqué le début de la guerre. Le premier choc passé, l’essor économique a repris avec une aisance, une adaptabilité surprenantes. Le chômage a fait place au manque de bras. Les prix de toutes choses montent ; les ouvriers se font allouer des supplémens de salaires (bonus). Business as usual, les affaires comme d’habitude, c’est le mot d’ordre, et c’est l’expression de la réalité. L’Angleterre a bien su maintenir son commerce et son industrie pendant les guerres passées : pourquoi n’en serait-il pas de même aujourd’hui ? Leur vitalité n’est-elle pas en un sens la condition de la victoire ? Très vite revenue, la prospérité s’accroît à un degré qui surprend les Anglais eux-mêmes. D’énormes profits sont réalisés par les industries de guerre, et par d’autres. De chez les alliés affluent les demandes et commandes, charbon, acier, munitions, matériel, vêture. etc. L’exportation, réduite pendant un temps, a repris merveilleusement. Malgré la hausse du coût de la vie, la nation ne sent pas la privation ; les classes ouvrières, en particulier, n’ont jamais semblé aussi au large ; on remarque qu’elles s’adonnent à certains luxes (bijoux, pianos, etc.). Loin de souffrir économiquement, la majorité du pays a profité de la guerre. Qu’il y ait