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Cinq cents prisonniers la veille, cinq cents le lendemain, le total monte. Justement on publie la récapitulation des prises que, les Anglais et nous, nous avons faites du 1er juillet au 1er novembre de cette année. En un trimestre, et sur la Somme, l’Allemagne nous a abandonné un corps d’armée et demi, avec ses cadres, et le matériel de toute une armée. Mais il y a, de plus, les morts et les blessés. Il y a, de plus, les désespérés, les découragés. Plus encore que celui des pertes allemandes, ce bilan, si quelque procédé de chimie y pouvait faire apparaître les impondérables qui ne se comptent ni ne s’écrivent, et si la qualité s’y dosait comme la quantité, serait surtout l’aveu de la détente allemande, de la défaillance allemande, avant-coureur, plus ou moins éloigné, mais certain, de la défaite allemande.

Néanmoins, ne nous endormons pas; au contraire, tenons-nous éveillés, et travaillons. L’espèce de relâchement qu’on observe sur le front occidental peut vouloir dire aussi que Hindenburg, — que la Cour, dans les soirées du Schloss et de Potsdam, s’amusait fort, avant la guerre, à faire passer pour un monomane des lacs Masuriques, et qui a toujours tourné vers l’Orient une tête de bélier ou de taureau prêt à foncer, — va d’abord exercer, du côté de l’Orient, contre le front russe ou les fronts roumains, une de ces poussées brutales où il excelle, quitte à ramener ensuite contre le nôtre tout ce qui lui resterait de forces, en jouant des chemins de fer sur les lignes intérieures, seconde partie de son art. En deux mots : écraser d’abord la Russie, nous ensuite ; des deux groupes d’adversaires que l’on a sur les bras, en mettre un à terre, pour mettre l’autre par terre; et, quand le deuxième sera par terre, revenir sur le premier ; c’est si simple, que cela pourrait être génial, si, précisément parce que c’est très simple, cela n’était pas en même temps trop visible. Pour réussir, il y faut la surprise; il y faut, outre 1’aveuglement opiniâtre de l’ennemi, le consentement rapide et immédiat de la Fortune. Or, il est admis qu’elle n’aime que les jeunes gens, qui la bousculent; ce qui est une autre façon de dire que de pareils desseins ne réussissent que par surprise. Hindenburg est bien vieux pour la forcer ainsi à lui sourire, et Mackensen, de même : Falkenhayn est plus jeune, mais bien présomptueux ; il a abusé d’elle, et ils se sont déjà quittés. Le fait est que Falkenhayn, repoussé de tous les passages qui conduisent en Moldavie, est ou immobilisé sur les cols des Alpes transylvaines, ou rejeté également à la frontière hongroise. Par le Tomos, au Sud de Prédéal, il n’a pu arriver jusqu’à Sinaïa; par le défilé de Torzburg, plus à l’Ouest, il n’a pu dépasser Dragoslavele ; et, au Sud de la