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pour que nos genoux s’inclinent. Le Maître acceptera que ses disciples le reçoivent debout. Sur mon petit corporal, je dépose la custode. En silence nous adorons. J’invite les communians à s’asseoir sur les bancs de bois plantés de chaque côté. Immobiles, la figure toute grave, les bras croisés, le regard tendu vers le trésor divin, ils m’écoutent. Je leur parle de Notre Seigneur, je parle d’eux à Notre Seigneur. Ils redisent lentement mes invocations. Un nouveau silence : chacun prie à sa manière. Puis je leur distribue mes hosties, allant de l’un à l’autre, autour de la table, ainsi que Jésus dut le faire à la Cène. Ému autant qu’eux-mêmes, je respecte le recueillement profond des visages et des âmes. Peu après, des mots me reviennent aux lèvres, une prière à haute voix qui exprime les pensées de tous. Nous confions à Dieu nos vies, nos familles, nos camarades, la France. Au dehors, de jolies étoiles semblent briller d’allégresse.


Et l’allégresse de l’aumônier répondait à celle des étoiles.


III

Dans les ambulances de la zone des armées, comme dans celles de l’arrière, le dévouement des religieuses se prodiguait. L’atroce bombardement d’Arras coûtait la vie à plusieurs d’entre elles : on les voyait cacher leurs blessés dans les caves et s’en retourner dans les salles éventrées, pour transporter encore les patiens qui restaient. A Saint-Dié, à Pont-à-Mousson, les sœurs de Saint-Charles de Nancy semblaient trop attentives aux plaintes de leurs malades, pour se laisser troubler par la musique des obus, qui cependant ne chômait point. A Gerbeviller, d’où s’étaient éloignés tous les civils, elles restaient « sous un feu incessant et meurtrier, » avec un millier d’hospitalisés, aidant quelques-uns à mourir et beaucoup à survivre. Tout flambait dans Gerbeviller ; et, dans l’immense incendie, sœur Julie avait deux soucis : le tabernacle et ses blessés. « Vous n’avez pas le droit de mettre le feu, » dit-elle à l’officier allemand en lui montrant le pavillon de la Croix-Rouge ; le simple acte de cette religieuse préserva des n’animes les cinq ou six maisons voisines, et ses blessés furent sauvés. Mais là-bas, dans l’église qui brûlait, le Dieu du tabernacle était, lui aussi, un blessé ; la coupe et le couvercle du ciboire étaient traversés par les balles. Sœur Julie courut à l’autel, prit les hosties, communia. Elle devenait le ciboire de toutes ces hosties, et dans une seconde d’amour elle réparait l’offense faite à Dieu par les soldats sacrilèges de la catholique Bavière. Sœur Marie de la Flagellation,