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Le curé de Vienne-la-Ville, demeuré presque seul dans son petit village, assumait à sa façon les mêmes responsabilités et les mêmes services dont à Vitry l’archiprêtre s’était chargé. Le curé de Loos, en l’absence de la municipalité, organisait une boulangerie municipale. Ailleurs, des besognes toutes civiles étaient confiées aux prêtres par les autorités civiles restées à leurs postes : le vicaire de Bertrimoutier était nommé maire de sa commune par un arrêté du préfet même des Vosges ; le curé d’Etinehem devenait greffier de la mairie ; le curé d’Estrées, de concert avec l’adjoint, organisait une boulangerie. Et lorsque l’abbé Lemire, prêtre et maire d’Hazebrouck, entendait parler de ces lointains confrères, auxquels sa propre intrépidité eût pu servir d’exemple, et qui s’en allaient, eux, du sanctuaire à la mairie pour revenir de la mairie vers le sanctuaire, j’augure qu’il les enviait en même temps qu’il les applaudissait, et qu’il attendait avec une impatiente émotion le geste pontifical qui lui permettrait de rester, à la mairie, devant l’ennemi tout proche, le représentant des Flamands, et de redevenir à l’autel, devant Dieu, leur intercesseur et leur interprète.

A Reims, le cardinal Luçon liait ses destinées à celles de la cathédrale, montant auprès de cette grande martyre une garde impuissante et fidèle. Il ne pouvait rien pour elle, mais il pouvait beaucoup pour les misères de son peuple, et il faisait beaucoup. Dans la cathédrale où de partout les incendies s’allumaient, l’abbé Landrieux, devenu dans la suite évêque de Dijon, veillait et luttait, au risque d’être, peut-être, enseveli par les ruines ; il mettait le trésor en sûreté. Mais son âme de prêtre voulut un autre sauvetage. Il y avait là, sous les voûtes où s’épaississait la fumée, un certain nombre de blessés ennemis, compagnons d’armes des bourreaux de la cathédrale : derrière eux, l’incendie ; devant eux, dans la rue, des fusils chargés qui les guettaient. La colère de la population contre l’incendie qui ravageait la merveilleuse charpente gagnait les chefs et les soldats : ces blessés voulaient sortir du brasier ; ils ne sortiraient pas, ou ils seraient tués. « Vous me tuerez d’abord, » signifia le prêtre ; et, sous sa protection, les blessés purent sortir et s’en aller, sous escorte, à l’hôtel de ville, prisonniers et sauvés.

La ville d’Arras, cette autre condamnée à mort, était fidèlement assistée, dans les convulsions du bombardement, par son évêque, Mgr Lobbedey ; comme partout tombaient les obus,