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C’était au lendemain du renvoi brutal, par lequel le faisant congédier « comme un garçon de bureau, » Villèle avait écarté un collègue encombrant. Le ministre disgracié se retirait avec une ostentatoire simplicité, mais vouant désormais au « cauteleux aideur d’affaires » et à son parti une haine implacable. Devenu partisan de toutes les libertés, l’ancien ultra de 1815 avait aussitôt entamé la terrible opposition que l’on sait ; « le brin d’herbe arraché » allait aider à l’écroulement d’ « une grande ruine. » Le libéralisme hautement affiché d’Augustin Thierry, ses théories et ses idées ne pouvaient donc alors déplaire au grand homme irrité. La vénération proclamée d’un disciple fervent, qui le saluait comme un inspirateur et comme un modèle, devait enchanter son orgueil.

Des relations durables et suivies s’établirent entre eux, empreintes d’une respectueuse déférence chez Augustin Thierry, d’une très chaude et bientôt admirative sympathie de la part de Chateaubriand. On en peut trouver la trace dans les Mémoires d’Outre-Tombe. Avant la révolution de Juillet, au cours de ses voyages et durant son ambassade à Rome, Chateaubriand écrit à plusieurs reprises, « vieil élève à son jeune maître, » intervient même en sa faveur, et à vrai dire sans succès, auprès de M. de Martignac. Après 1830, ce commerce d’amitié continue et, rentré à Paris, le hautain « oublié » ne dédaigne point de quitter parfois son appartement de la rue d’Enfer pour venir au passage Sainte-Marie, en compagnie de Mme Récamier, converser avec l’historien aveugle et paralysé.

J’ai retrouvé dans mes papiers de famille une partie de cette correspondance que j’ai l’heureuse fortune de pouvoir publier aujourd’hui. Les lettres de Chateaubriand en ma possession sont au nombre de dix-huit, s’échelonnant sur une durée de quinze ans, de 1829 à 1844 : quelques-unes dictées par Chateaubriand à son secrétaire Hyacinthe Pillorge et revêtues de sa signature, les autres autographes, sur épais papier de fil, scellées du c’achet à ses armes, de cette grande écriture allongée, d’un demi-pouce de haut, comme tracée avec des majuscules, si caractéristique qu’on ne saurait l’oublier, lorsqu’on l’a une fois entrevue.

Deux ou trois sont de simples billets de politesse, mais la plupart, par les renseignemens qu’elles fournissent ou les pensées qu’elles expriment, apporteront, je l’espère, une utile