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pousser de toutes leurs forces à la guerre contre les amis d’hier.

— Dans deux jours, disaient-ils, nous serons à Salonique et dans quatre à Belgrade ; ce ne sera qu’un jeu d’enfant.

En 1804, à la veille d’Iéna, on avait entendu des vantardises analogues dans la bouche des généraux prussiens.

Le désir de faire de la Bulgarie la Prusse des Balkans, n’était pas le seul mobile de ces meneurs actifs et résolus. Le général Savof, principal éducateur et organisateur de l’armée bulgare, et dont l’autorité et l’influence sur les officiers étaient devenues toutes-puissantes depuis qu’il les avait conduits à la victoire, était inféodé au parti stambouloviste, le plus actif et le plus violent de tous les partis, qui, pour conquérir le pouvoir, ne reculait devant aucun moyen.

Savof et quelques-uns de ses amis avaient contracté alliance avec lui peu de temps avant la guerre, alors qu’ils étaient sous le coup de poursuites criminelles pour violation des lois et pour des faits de concussion. On prétendait même que, si les stamboulovistes avaient énergiquement préconisé la guerre contre la Turquie, c’était afin d’éviter une condamnation à leurs partisans. A la lumière de ces souvenirs, il est aisé de comprendre pourquoi Guéchof avait été contraint de donner sa démission et pourquoi Danef, son successeur, ne pouvait conserver son portefeuille qu’à la condition de se faire l’instrument docile du parti qui voulait à tout prix la guerre, cette guerre fratricide dont le roi Ferdinand restera devant l’histoire l’auteur le plus responsable.

Cependant, il ne suffisait pas de la vouloir pour l’entreprendre avec des chances de succès. Ce n’était pas assez d’avoir foulé aux pieds et fait avorter les offres de médiation et d’arbitrage si cordialement faites par la Russie, de lui avoir infligé ce témoignage révoltant d’ingratitude, il fallait aussi compter avec la Roumanie. Déjà, sous le ministère Guéchof, des pourparlers s’étaient engagés entre elle et le gouvernement bulgare à l’effet de lui assurer, quand les Alliés se partageraient les dépouilles de la Turquie, des dédommagemens territoriaux. Le gouvernement russe était intervenu pour faciliter la négociation. Ces pourparlers commencés a la veille de la démission de Guéchof n’ayant pas eu de suite, Ferdinand se flattait de l’espoir qu’avant qu’ils fussent repris, son armée aurait écrasé les Grecs et les Serbes, ce qui rendrait les Roumains moins exigeans dans