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vrais croisés. Si gais, si simples, si consentans ! Nous avons raison, certes, de les pleurer ; cette émotion du revoir leur a été douce, mais nous avons encore plus raison de leur sourire...

— Ils ont été si crânes, ajoute Weiss, que nous n’avons pas le droit d’être lâches. N’est-ce pas, femme ?

— C’est vrai. Sur leurs photographies, je n’arrive pas à trouver de la tristesse., Cette tristesse est en moi. Elle n’est pas en eux.

— Ils ont donné leur vie sans se retourner, conclut M™^ Bohler... Braves garçons !... Ils ne nous ont jamais causé un chagrin. C’est un cœur pur qu’ils ont offert à leur pays.

On évoque leur enfance. On cite leurs mots. On lit leurs lettres. On se montre les objets qui leur ont appartenu. Les voix ne tremblent plus, car leur sacrifice fut si beau qu’ils ne sont pas de ceux qu’on appelle les morts. Ces mères, dépouillées, plaignent d’autres mères moins durement frappées qu’elles. Marie demande :

— Pourquoi est-ce qu’on pleure les gens qui sont chez le bon Dieu ?...

On l’embrasse.

— Monsieur Reymond, dit encore M""^ Bohler avec un triste et joli sourire maternel, nous n’avons plus que vous, maintenant, qui nous rappeliez le beau temps oii ils étaient là... Vous étiez notre ami, déjà, vous l’êtes doublement maintenant. Voulez-vous que nous allions voir Jacques et René ?... Près d’eux, nous saurons trouver Charles et Jean... mon petit Jean... Qu’il fait beau ! Jamais l’Alsace ne fut plus belle I On s’avance sur le chemin qui serpente au pied de la montagne. Des fleurs dans les haies, des fleurs aux fentes des murs, des fleurs dans les prés, des fleurs dans les pierrailles, et maintenant des fleurs sur les tombes. C’est là. Jacques Weiss, 23 ans. Tiens ferme ce que lu as... On se groupe autour de la pierre. M""^ Weiss s’est penchée : avec des gestes doux elle dirige les jeunes pousses du lierre ; c’est une mère qui borde le lit de son enfant. On se tait. Parlant de cette tombe, les pensées s’envolent, plus rapides que des oiseaux, vers cette autre terre de douleur où Charles Weiss est couché. Comme on le cherche, là-bas ! On tourne autour de ces poutres calcinées qui furent des villages, on