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Rousseau, qui, entre tous ses modèles, a glorifié et individualisé le chêne.

Sachant que nos arbres l’ont toujours bien inspiré, M. René Bazin a voulu leur élever, en un chapitre de son nouveau livre, un temple de sa reconnaissance, où toutes nos essences françaises ont leur chapelle. Il y honore d’abord la famille des chênes, celle des pins, celle des hêtres, celle des châtaigniers, qui, toutes, ont trouvé des pinceaux illustres pour les célébrer. Il venge d’un injuste oubli les bouleaux, fins et résistans, qui s’entendent à merveille avec la neige ; les noyers, « qui sont de race royale aussi bien que les chênes ; » les ormes, les frênes, souvent chez nous de belle venue, et les cerisiers, dont on ne parle qu’un moment dans l’année. Ce sont là les méconnus des peintres. Faut-il dire que le peuplier, dédaigné par eux, l’est aussi par l’écrivain ? « On appelle cela un rideau d’arbres. Pauvre rideau, effiloché et sans esprit ! arbres qui manquent de grâce autant que de force !… Vous me direz que le père Corot a peint des peupliers. Je réponds qu’il a surtout peint des saules, lesquels il modelait, allongeait, empennait et empanachait à sa fantaisie. » Mais le cormier, le saviez-vous ? est un arbre étonnant ; s’il perd tôt son maigre feuillage, son bois a le plus grand caractère, avec ses branches « difformes, bossues, aplaties, étranglées, » qu’il faut de la patience pour dessiner., L’énumération s’achève par une évocation de nos parcs français : « Et maintenant, je parlerai de vous, marronniers, compagnons des avenues royales, qui bâtissez l’ogive magnifiquement, dès que les hommes vous laissent libres… » J’aimerais citer ce « portrait d’arbre, » digne de nos meilleurs peintres.

On est surpris de voir notre « amateur » goûter si fort M. René Ménard, de qui le paysage composé est aussi différent que possible du sien. C’est qu’il lui reconnaît le sens très rare des larges horizons : « Il va aux lointains…, il s’y plaît, il y voyage, il se baigne dans les fleuves, il suit le sommet des collines, il fait le tour des baies qui sont indiquées seulement… » Nous rencontrons ici une de ses vues familières : « Les plus grands espaces, a-t-il écrit, n’auront jamais beaucoup de peintres. Ils veulent, comme les grandes idées et comme les grandes causes, des hommes à leur taille, et tel qui réussit à rendre, à peu près, l’aspect d’un sous-bois, une route qui tourne, une ferme avec une mare, sera tout à fait incapable de donner