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l’hommage de mon respect : j’ai été doublement charmé de voir votre femme et une Bretonne pleine d’esprit et de grâce. Il a été décidé entre nous que j’étais son cousin depuis trois ou quatre cents ans, et j’espère d’après cela que vous ne me refuserez pas d’être le vôtre.

« J’étais bien honteux, Monsieur, de vous offrir mes Études, je sentais combien le présent était peu digne de vous. Vous ne sauriez croire à quel point je suis heureux d’apprendre que vous vous remettez à l’ouvrage et que mes essais informes entrent cependant pour quelque chose dans votre résolution. C’est ainsi que vous m’avez dit (et je ne l’ai pas oublié) que ma bataille des Francs vous avait donné la première idée d’une histoire différente des histoires publiées jusqu’à notre temps. Ce sont là mes vrais titres de gloire. Mme Thierry vous porte mes Études : l’échange que vous me proposez m’est trop favorable pour que je perde l’occasion de m’enrichir.

« Hélas ! Monsieur, tout mon bonheur serait de rester à Paris, de vous voir, de vous entendre, de m’instruire dans votre conversation, et surtout de vous presser de continuer votre immortel travail ; mais je ne fais que traverser la France : accouru pour défendre encore quelques exilés et pour vendre mon chétif ermitage, je m’apprête à reprendre le chemin de la terre étrangère. Chaque homme accomplit sa destinée. La mienne est liée à une couronne qui a toujours pesé sur moi et qui m’écrase en tombant. J’ai pris seulement mes précautions pour que mes cendres soient rapportées dans ma patrie.

« Recevez, Monsieur, je vous prie, la nouvelle assurance de l’attachement et de l’admiration que je vous ai voués. Mme Thierry vous dira combien nous avons parlé de vous et tous les souhaits que je fais pour votre bonheur.

« CHATEAUBRIAND. »


Emprisonné durant quelques jours à la préfecture de police, en raison de ses rapports suspects avec la Duchesse de Berry, Chateaubriand reçut dans sa geôle momentanée de nombreuses marques de sympathie. Aux témoignages de Bertin, de Villemain, de J.-J. Ampère, de Charles Lenormant, vint s’ajouter celui d’Augustin Thierry. À peine remis en liberté, Chateaubriand se hâte de remercier Mme Augustin Thierry.