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Allemand[1]. La cause paraît d’ailleurs entendue quand on lit dans les lettres du front des phrases comme celle-ci : « On fouille les maisons et l’on réquisitionne, comme on dit, tout ce qui y reste. En bon allemand, cela s’appelle voler ; mais, que ce soit agréable ou non au propriétaire, nous n’en avons cure[2]. »

Si dégradantes que nous paraissent ces habitudes de rapine, elles ont fait moins de tort encore à l’armée allemande que ses multiples atrocités : incendies de villages sans nécessité militaire ou exécutions de civils inoffensifs. La réalité même de ces attentats au droit des gens étant impossible à contester, leurs auteurs se sont bornés, soit à tenter de les excuser, soit à les laisser deviner par de troublantes réticences comme celles-ci : « Je ne peux et ne dois pas vous donner de détails plus circonstanciés : on ne me croirait pas ; tout cela est si terriblement triste que je cherche à y penser le moins possible[3] » — Leurs récits présentent d’ailleurs une terrifiante monotonie, et celui de Marschner, le plus saisissant de tous, peut être cité comme type de tous les autres. Son régiment avait traversé toute la Belgique du Nord, très correctement accueilli par la population. Tout change à partir de Spontin, livré entièrement aux flammes parce que des coups de feu partis des maisons auraient coûté la vie à trois soldats allemands. Quand Marschner traverse le village, les hommes sont fusillés en tas dans un parc, tandis que leurs femmes, parquées avec leurs enfans dans une prairie voisine, entendent, muettes de terreur, le bruit des détonations. A partir de ce moment, l’obsession des « francs-tireurs » se tourne, chez les soldats allemands, en folie de carnage et de destruction. Pendant les cinq jours et les cinq nuits que dure la marche forcée de son régiment à travers la Belgique méridionale, Marschner voit, aussi loin qu’il porte la vue, les villages s’allumer comme des torches et se transformer en immenses brasiers, dont l’ensemble donne l’impression d’une mer de flammes. On lui saurait gré d’éprouver quelque émotion à la vue de ces scènes de cauchemar : elles ne lui inspirent que le désir de retrouver le leitmotiv du dernier acte de la Walkyrie, alors

  1. Ganghorer, p. 121 : Thümmler, XII, pp. 3-5. Ailleurs (Thümmler, VII, p. 6), un soldat dénonce comme un scandale sans précédent la conduite des Russes, qui, lors de l’invasion de la Prusse orientale, ont emporté des objets mobiliers dans leurs tranchées.
  2. Der deutsche Krieg in Feldpostbriefen, I, p. 106.
  3. Der deutsche Krieg in Feldpostbriefen, I, pp. 143 et 179.