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à tour de rôle, hommes, femmes, montaient sur les chars à bœufs qui portaient les maigres bagages du personnel sanitaire, épaves à grand’peine sauvées des hôpitaux rapidement évacués.

Aucun incident ne marqua cette première journée de voyage ; mais, en franchissant le Drin Blanc sur la mince arête en dos d’âne de l’arche à triple étage du Schwanshi Most, on n’en avait pas moins l’impression d’entrer dans l’aventure.


Nous n’arrivâmes que très tard dans la soirée, à Diakovo, la farouche cité albanaise où, il y a quelques années à peine, un voyageur européen n’aurait pas osé pénétrer. Des gendarmes monténégrins nous attendaient à l’entrée de la ville ; ils nous guidèrent à travers les fondrières et nous firent longtemps errer dans un dédale de ruelles avant de trouver la maison du prêtre catholique auquel les ministres de France et d’Italie venaient demander l’hospitalité.

Dimanche 21 novembre. — Une chambre au rez-de-chaussée sert de chapelle, le curé est à l’autel ; de misérables enfans accroupis sur le sol, deux vieillards et quelques femmes dont le costume indique la pauvre condition sont les seules ouailles de Mgr Etienne Krasnik. Nous assistons à la messe pendant que dans la cour on prépare les voitures ; déjà la caravane est partie ; nous partons à notre tour et nous refaisons de jour, à travers le dédale des ruelles, le trajet qui nous a paru si long hier soir, dans l’obscurité. La maison du curé catholique et le petit couvent des Franciscains qui l’avoisine sont placés, comme des parias, à l’une des extrémités de la ville musulmane ; pour sortir sur la route d’Ipek, il faut parvenir à l’autre bout et traverser tout le bazar : les boutiques sont hermétiquement fermées ; un silence de mort règne dans ce quartier qui, en temps ordinaire, doit être rempli d’une animation si pittoresque ; sur la rue principale, d’innombrables ruelles, dont les petites maisons basses forment chaque boutique : ici les marchands de babouches, là les marchands de cuirs, plus loin les bouchers, les vendeurs de viandes séchées, plus loin encore les chaudronniers et les fabricans de filigrane d’or ou d’argent. Nous traversons à regret ce désert. A la sortie de la ville, enfin, quelques boutiques sont ouvertes ; ce sont les marchands de pommes, pommes de Diakovo et d’Ipek, d’un éclat